Année 2097 : « Papy, papy, raconte-nous encore Noël en 2006, c’est si drôle. » Tous les ans, c’est la même supplique, à laquelle je me plie bien volontiers, tant cette histoire est folle. Après des milliers d’années à lutter pour finalement atteindre un niveau de vie éloigné de l’autosubsistance fragile… (lire la suite)
Pervers Noël
Année 2097 : « Papy, papy, raconte-nous encore Noël en 2006, c’est si drôle. » Tous les ans, c’est la même supplique, à laquelle je me plie bien volontiers, tant cette histoire est folle. Après des milliers d’années à lutter pour finalement atteindre un niveau de vie éloigné de l’autosubsistance fragile, après avoir obtenu si difficilement la liberté d’aller et venir, le genre humain a, durant le vingtième siècle, finalement conservé son habitude de faible, bien plus confortable psychologiquement. Alors qu’il a le temps de rencontrer ses voisins, de se demander comment il aimerait vivre, de choisir la couleur du papier peint, ce qu’il mange, ce qu’il fait, ce qu’il voit… et ben non. Exemple de cette perversité, nous pouvions observer jusqu’en 2025 que la plupart de la population française aspirait définitivement à consacrer sa vie au salariat et ne rien faire d’autre que d’acheter des objets de plus en plus hypnotisants et polluants. Cet acte avait, à court terme, des vertus anxiolytiques certaines dont seul un document d’époque, daté de 2004, peut traduire la nature hystérique :
« 32 millions d’euros[1] !!!, c’est bien, c’est mieux que l’année dernière, mais on peut faire plus, tous ensemble. » France-info crache les derniers résultats du week-end, comme un rappel à tous ceux qui auraient oublié notre devoir devant Dieu, nos enfants et Nicolas Sarkozy[2] : acheter. Achetez pour la famille ! Achetez contre le chômage (des Chinois ?) ! Achetez pour votre pays. Pour que rien n’entrave ce hold-up béni, on sécurise les zones d’achat : 1 500 policiers sur les grands boulevards. Chaque année, comme une prédiction de celle qui nous attend, commence le point d’orgue du grand n’importe quoi : N***. Le mot en est sale tant il a été prostitué et récupéré à toutes les fins. D’une méditation collective pour trouver la force, il est devenu une solution à la crise qui nous menace et une manne considérable pour ceux qui monopolisent le commerce. Le 24 décembre, il faut retrouver ses parents proches, quelle que soit notre relation avec eux et en quelques heures, cramer le plus de fric possible autour d’une table en suivant un code très strict. En effet, s’il suffit d’un string à la Saint Valentin, d’une francisque à la fête des mères et de bougies pour l’anniversaire, c’est beaucoup plus compliqué à Noël : le poulet doit avoir les couilles coupées[3], le prix doit être enlevé (je pense que c’est pour faire croire qu’on l’a volé, mais je suis pas sûr), le repas doit se finir tard, il faut raconter aux enfants[4]une histoire de bébé qui serait né dans une chaussure au pied d’un sapin[5]dans le désert et leur dire sans arrêt : « ékeskitamenélepèrnoèl ? » dans une transe démoniaque… et alimenter les conversations de N***. Essentiellement : « T’as vu les prix ? », auquel on ajoutera quelques considérations temporelles et nostalgiques : « Déjà un an de passé, c’était mieux avant. » Tout ça sur un ton très supérieur, comme cet article. Face à la supercherie, gênés par la culpabilité, beaucoup se lavent en justifiant une démarche : des cadeaux à moins de cinq euros, des cadeaux français, ou tamponnés « commerce équitable », ou pas de cadeaux : que de la bouffe… mais nous le célébrons tous, pour ne pas risquer d’être mis au ban de sa famille. Surtout, fatigués et sans grandes alternatives, la plupart soufflent un dernier « On le fait surtout pour les enfants », comme ces derniers disent « C’est pas moi qu’ai commencé ! ».
Petit rappel : contrairement à ce que disent les journaux, l’ennemi n’a plus de croix gammée mais un gros carnet de chèque, des amis biens placés et des intentions horribles. Acheter, c’est collaborer, d’ailleurs la bande originale du film est chantée par Tino Rossi. Quant à ceux qui se demandent pourquoi la Compagnie Créole chantait « N***, joyeux N***, bons baisers de Fort de France », je n’en sais rien non plus. En conclusion, faîtes l’amour, pas N*** !
Emmanuel (se fête le 25 décembre) Germond
Notes
[1] Volume de transactions enregistré par le groupement des cartes bancaires au cours du week-end dernier, pour le premier du Noëlthon.
[2] Qui a été assez courageux pour exiger la baisse de 2 % des prix des grandes marques pour qu’on en achète plus
[3] Mais qu’on leur foute la paix !
[4] Mais qu’on leur foute la paix !
[5] Mais qu’on leur foute la paix !