Le point de vue de l'oreille
Sous la direction de Jean Marc Montera, le Grim organise une rencontre d’une semaine autour des potentialités du son. Côté scène, côté bruitage, sans oublier la radio, la fiction et le film documentaire. Une occasion de s’enrichir sur la diversité d’un medium qu’on laisse souvent dans l’arrière-plan… (lire la suite)
Sous la direction de Jean Marc Montera, le Grim organise une rencontre d’une semaine autour des potentialités du son. Côté scène, côté bruitage, sans oublier la radio, la fiction et le film documentaire. Une occasion de s’enrichir sur la diversité d’un medium qu’on laisse souvent dans l’arrière-plan
Dans Nom de code : Sacha de Thierry Jousse, le chanteur Katerine fait la rencontre d’une jeune femme libre de son temps (Margot Abascal). Ensemble, ils flânent et prolongent leur rencontre dans un appartement. Lentement, Katerine joue de sa voix et de quelques mélodies sur une guitare pour emmener cette relation vers un autre monde ; elle se laisse séduire par son charisme, sa fausse lenteur et sa fausse timidité, elle aussi sort de son rôle de figurante pour entonner ses chansons ; leur différence de timbre crée un espace entre eux dans lequel tout le désir se jette. L’amour avance et s’immisce, transformant le hasard d’une rencontre dans une attente. Le répertoire de Katerine sert de coussin, les corps se promènent, proches du sol, évanescents, tout en demie mesure, et nous emmènent vers le suspense d’un baiser. Ici, ce qui fait avancer la fiction, ce ne sont pas des problèmes de société, ni des codes de bonne conduite ; l’hésitation de la voix fait son œuvre et la justesse des accords et des interruptions joue le mode du rapprochement. Le son qui touche au corps a le pouvoir de nous concerner et plus si affinités, mais il est rarement le centre d’une fiction, parce que dans l’histoire de la dramaturgie, le son est une présence qui touche à l’invisible, il peut être indiscret, mais jamais voyeuriste. La première de ses qualités est sa présence. Combien de mains travaillent dans le studio pour le bruitage des pas et sur quel plan sonore se retrouvent ces mêmes pas dans le film ? La chaussure est devenue souple, le bruitage de la semelle change de texture, elle bruisse moins ; la moquette a remplacé le parquet et le son gagne immanquablement en velouté, emmenant le bruit du talon dans un souvenir nostalgique. Le son est souvent ancré dans la tradition d’habiller le personnage, de lui donner une force et un état d’esprit par le jeu des mains sur le vêtement, le laçage des chaussures, la chorégraphie de la marche. Petit à petit, la frontière entre cinéma et théâtre s’amenuise par le travail de spatialité et l’arrivée du numérique. Ce qu’on entend n’arrive plus du fond, mais peut nous sauter dessus par la gauche ou la droite. On parle derrière moi, erreur, c’est une enceinte. A la radio, on connaît la voix rauque de l’animateur qui donne de l’épaisseur à l’habitacle de la voiture, là encore, c’est une histoire de micro, parce que l’animateur rencontré dans la rue nous parle tout à coup d’une voix fluette. Le son crée un champ qui nous entoure et nous entraîne, sans indication, sans panneau d’alerte, son absence nous dérange, parce que le silence est un son. Le son nous rassure sur le fait que nous sommes sur Terre et nulle part ailleurs, il est lié à l’atmosphère, il calme notre panique, il nous dit indirectement que l’on peut toujours respirer. Dans le film documentaire, la bande-son se pose comme une couche de signification : une voix-off inscrit de nouveaux éléments et démontre les conditions de tournage (caméra seule). A l’initiative de Jean-Marc Montera et Jean-Pierre Rhem, le FID a désormais son « prix Son », et le bruit des pages d’un livre devient l’élément clef d’une œuvre, parce que ces mêmes pages nous installent dans un nouveau lieu, elle inscrivent la présence d’une personne sans la voir. La France est un pays de l’écrit et de l’oral où le son seul est un animal étrange que l’on croise parfois, mais rarement. Une couche de vivant, un violon qui devient la sonorité d’un objet (le couteau de Psychose), le son non passif nous dérange et devient un acteur devant l’acteur, comme un noir écran sur le visage. Le son ne cherche pas à inverser le pouvoir de l’image, il joue dans l’espace qu’on lui laisse et utilise ses atouts pour remodeler ce même espace, faisant rentrer l’extérieur dans l’intérieur, créant une confusion mentale qui génère de nouveaux sens. Dans les feedbacks de Jimmy Hendrix, il y a une volonté de poser la musique sur une erreur, d’aller contre le pincement propre des cordes, la pédale Wah-Wah fait son facteur, l’ampli sert de vélo et le larsen nous porte sur des vibrations qui cassent l’idée habituelle de la fin (la chute). On se rapproche de la transe, de l’envie de tout lâcher, le synopsis vole en éclats par la force de l’étirement. A quelle distance se trouvent les arbres, à quelle distance se trouve la scène, où est passé le héros ? Tout devient très incertain et nous renvoie aux errements d’une époque, à l’explosion finale de Zabriskie Point. Le monde se réinvente dans un lapsus sans fin et au-delà de la propagande de l’image, restent les sentiments, le souvenir de ce que l’on entend, le point de vue de l’oreille.
Texte et photo : Karim Grandi-Baupain
Sons de plateaux. Du 5 au 8/04 à Montévidéo. Rens. 04 91 04 69 59