No Country for Old Men – (USA – 2h02) de Joel et Ethan Coen avec Javier Bardem, Josh Brolin, Tommy Lee Jones…
Fardeau
Si les frères Coen n’étaient pas deux, le critique/analyste plaiderait volontiers pour un cas de schizophrénie avéré tant leur œuvre superpose d’arides joyaux (Fargo) et pires « joujous » maniérisants (Ladykillers, pour ne citer que le dernier en date). A moins que les frangins n’aient pris un malin plaisir à organiser leur déclin progressif (entamé avec le jaunâtre O Brother), histoire de mieux asseoir leur règne esthétique une fois l’heure venue… Et quand bien même : la première satisfaction de ce No Country for Old Men est sans doute de voir les Coen renouer avec l’horizon séminal de leur cinéma tout en l’asséchant un peu plus. L’arsenal formel mis en place depuis Blood Simple — choc habile des durées, incarnation archétypale du héros, image proche de l’abstraction, etc. — travaille ici à l’évidement du western et de la mythographie américaine par un quadrillage horizontal des territoires de l’Ouest qui transforme peu à peu le film en traversée slow burn du genre et de ses figures ; mais surtout en organisant au sein du récit un phénoménal conflit d’énergies et de temporalités. Entre la loose silencieuse de Llewelyn Moss, la trajectoire « old school » du shérif Bell et l’amplitude physique d’Anton Chigurh, les Coen proposent finalement bien plus qu’un ultime embaumement de l’héroïsme terrien : soit la représentation d’un monde impuissant face à l’empreinte hallucinante du corps de Chigurh et la déconstruction du modèle idéologique américain — véritable fardeau sur les épaules de ceux qui l’incarnent. Et si ce pays-là n’est pas pour les vieux, il est assurément fait pour l’œil goguenard des Coen.
Romain Carlioz