Cloverfield – (USA – 1h25) de Matt Reeves avec Michael Stahl-David, Lizzy Caplan…
Apocalypse now
Retour en arrière : mai 2005, en pleine promotion japonaise du troisième volet des aventures de l’agent Phelps, J.J Abrams, surpris de voir autant de gamins se promener dans la rue avec des figurines Godzilla, se dit qu’il tient là le sujet de sa prochaine production : un film « de monstres ». Et ça tombe bien, car le père de Felicity aime beaucoup les monstres. Les sanguinaires qu’il a placés cinq années durant en travers de la route de Sydney dans Alias. Le mystique en forme d’écran de fumée noire qui terrorise les infortunés locataires de Lost. Le scientologue nain et flippant qu’il a remis en selle dans Mission : impossible III. Les Vulcains ou les Klingons auxquels il s’apprête à redorer le blason dans une nouvelle franchise Star Trek. Mais avant de célébrer le retour de la soucoupe gonflante de Spock en 2009, c’est avec le monstre de Cloverfield qu’il faut présentement frayer — effrayer serait plus juste tant sa « bébête », excroissance génétique, mi-reptile, mi-King Kong, fout proprement les jetons. Mais pas comme l’ont entendu Roland Emmerich avec son pataud Godzilla ou Peter Jackson avec son King Kong pathos. Contre-pied total aux films précités, Cloverfield prend le parti d’évacuer la représentation du monstre, préférant plutôt se concentrer sur l’invisible, la suggestion et la puissance d’évocation. Comme dans le Projet Blair Witch, un caméscope filme, à hauteur d’homme, avec force décadrages et tremblements, une putain d’Apocalypse, où les buildings explosent, le pont de Brooklyn s’effondre et la Statue de la Liberté perd la tête tandis que, pris d’une peur panique mêlée à un incroyable sentiment de fatalisme, des millions de New-Yorkais disjonctent littéralement, abasourdis et effrayés par ce qu’ils ne comprennent et ne voient pas — il n’est pas interdit d’y voir un angoissant écho post-11.09. Mon(s)trée avec parcimonie, une queue par ci, une bouche par là, la « chose » qui détruit minutieusement et irrémédiablement la Grosse Pomme est moins au centre de l’intrigue que le chemin de croix des protagonistes voués à une mort certaine. Captivant, impressionnant, claustrophobique et éprouvant, Cloverfield est le film-monstre qu’on n’attendait plus.
Henri Seard