Lettres d’Iwo Jima – (USA – 2h20) de Clint Eastwood avec Ken Watanabe, Kazunari Ninomiya…
On entend déjà les puristes réclamer la tête d’Eastwood, vaguement soupçonné de sacrifier son lyrisme sec sur l’autel de l’héroïsme guerrier. Procès d’intention pour le moins tendancieux : comme … (lire la suite)
Mémoires de nos frères
On entend déjà les puristes réclamer la tête d’Eastwood, vaguement soupçonné de sacrifier son lyrisme sec sur l’autel de l’héroïsme guerrier. Procès d’intention pour le moins tendancieux : comme dirait ma mère (à moins que ce ne soit Henri Seard… je sais plus, bref), les diptyques se voient toujours par deux, sinon c’est le bordel. Or, Lettres d’Iwo Jima est sûrement un des films de guerre les plus justes qui ait été produit depuis plusieurs décennies. Le versant japonais de Mémoires de nos pères développe à l’envi une figure qui a longtemps hanté le cinéma d’Eastwood, celle de l’empreinte (du temps, des corps). Le plan qui ouvre et clôt le film ne dit finalement pas autre chose : nous sommes dans un cinéma de la trace, qui s’attache à filmer êtres et choses pour en imprégner pellicule et rétine. Ici, pas d’obsession réaliste mais un classicisme subtil, proche d’une forme sophistiquée de néo-expressionnisme tant le cinéaste tranche les espaces, s’attarde sur les ombres des soldats ou la marque de la lumière sur leur visage. Le projet d’Eastwood ne s’éclaire finalement que dans le dernier plan de Lettres d’Iwo Jima, dans cette image d’une plage qui est ressortie intacte du passage de la guerre. Pris dans le miroir japonais, les Américains apparaissent tels qu’ils sont : des hommes. Et inversement, car Eastwood filme avec un humanisme rare le spectacle paradoxal de deux nations qui, dans le combat, font l’expérience de l’autre. Face à la folie, dans un bain de sang, tous les corps se ressemblent. Loin d’être une apologie du soldat, Lettres d’Iwo Jima en dresse le portrait dépressif et touchant. Eastwood est définitivement grand.
Romain Carlioz