Alors que s’approchent les échéances de la déchéance, notre chroniqueur, du cœur s’écrie : « Vive la France ». Et finira peut-être par nous parler de Volem rien Foutre al Pais… (lire la suite)
Mais qu’est ce que tu racontes ?
A chacun sa passion. Si pour Omar Shariff, « le tiercé, c’est son dada », mon petit vélo à moi, c’est la connerie. Pas la petite connerie de comptoir autour de trois olives, plutôt la méchante imbécillité qui pousse chacun à dire n’im-por-te quoi. Heureusement pour ceux qui partagent ce hobby, nous sommes en France : LE pays des inepties (et du fromage). Celui où elles sont lancées avec une telle assurance arrogante qu’elles en deviennent réalité[1]. On pourrait gloser longtemps — mais, hélas, ce n’est pas le sujet du jour — sur la légèreté mentale qui se manifeste dès que l’on parle de l’étranger. Une question : qu’est ce qui peut passer par la tête de celui qui dit « les Américains n’ont pas de culture » ? Est-ce l’ethnocentrisme de l’homme blanc du 19e face au nègre sans âme ou l’existentialisme de l’adolescent face à une plante sans conscience ? A moins que ce ne soit la certitude que sans un livre d’histoire composé de rois et de vieux bâtiments en pierre dont la restauration prend la majorité du budget de la culture, on est un demeuré ? Réponse simple : l’incapacité à concevoir quelque chose de différent. Parallèlement à ces convictions étendard, le coq français est client de toutes les bonnes histoires télévisées : le couple est la seule forme de vie adulte accomplie, la seule solution économique est la croissance et le combat social se résume à la défense du pouvoir d’achat.
C’est exactement de l’autre côté de cette muraille/œillère précédemment décrite, qu’intervient le film de Coello, Carles et Goxe. Dans la démarche, tout d’abord, le documentaire Volem rien foutre al pais ouvre les voies de l’expression spontanée, multiple et illustrée, tout en s’affranchissant des défauts du passé. En effet, malgré l’ambition, leurs documentaires se définissaient jusque-là par un style bancal dont on gardait un arrière-goût de « t’as pas fini tes devoirs avant de regarder la télé ». Parfois, comme pour La sociologie est un sport de combat, le miracle d’une scène opérait, offrant une formidable pierre de conclusion qui redonnait de l’unité au bazar. Quoi qu’il en soit, le résultat fut de réduire les complexes, d’initier le changement, d’encourager la tentative et l’expression…. Bref, ils ouvraient une fenêtre qui restaurait la vie, imparfaite, et la liberté. Seul problème de cette liberté, il faut en choisir la direction. Cette question, que Pierre Carles, principalement, avait parfois un peu relayé au profit de précautions égocentriques, est enfin posée. Volem rien foutre al païs est un film politique, un documentaire historique et vulgarisateur. Ce cap nécessaire enfin posé, notre trio peut reprendre les traces de l’urbain Attention danger travail qui avait établi le doute quant à l’équation croissance = travail = bonheur. Ils repartent donc en quête des Français qui vivent différemment de la thèse officielle qui nous dit que la vie, c’est un salaire, un loyer et des abonnements. Volem… ne s’arrête pas à cette mosaïque de portraits — ici ruraux —, il leur donne également une dimension politique en les accompagnant d’une introduction implacable sur la genèse de cette peur qui, depuis trente ans, terrorise chacun au point de l’empêcher de réfléchir à une autre possibilité de vie. Pompidou, Seillière, Kessler, Rocard et Charb, pour les plus marquants, viennent expliquer — souvent malgré eux — l’installation planifiée de cette théorie dominante. Au final, On ne veut rien foutre au pays est d’une efficacité terrible : il remplit si bien sa mission de vulgarisation et de présentation de vies que s’en dégagent d’autres dimensions. A l’instar des grands films politiques, il donne un élan d’encouragement sous une forme simple : la preuve que d’autres quotidiens, horizons, pensées et organisations sont possibles. Il suffit, mais c’est important, de choisir. A son crédit, le documentaire défriche de nombreuses notions encore discrètes, dont on retiendra par exemple l’interrogation sur la légalité des entreprises franchisées et la limite que l’on peut accorder à la loi sur la propriété. En bref, la légitimité de voler dans les supermarchés, de squatter les immeubles ou les terres vides et, par extension, tout autre débordement illégal. Au final, chose inouïe, Volem redonne l’espoir et le goût de l’engagement.
Cela, jusqu’à la fin de la séance. Après, il faut bien rejoindre l’avis des ceux que l’on avait oubliés pendant deux heures. Ainsi chacun, inactif et vinaigre assurément, pourra trouver que « le film est un peu facile, qu’il n’aborde pas tel problème important, que les réalisateurs sont puants, que cela ne montre pas la réalité, que le montage a des carences qui mènent à la confusion, que d’autres ont fait mieux… »
En guise de conclusion, nous voilà revenu à notre état de petit Français qui raille, instinctivement. Dans ces mêmes colonnes, il y a deux semaines, nous volions dans les plumes de Nicolas Hulot que nous qualifiions d’hypocrite. Nous tenons à revenir sur cet avis un peu limité car, aussi confuse que soit sa situation vis-à-vis de son employeur, Mister Ushuaïa a cependant tenté de combler notre vie sociale et politique de ce qui lui fait le plus cruellement défaut : l’ancrage à des réalités tangibles sur lesquelles il faut intervenir par des mesures pratiques. Son pacte est un programme d’urgence nécessaire, malgré toutes ses carences. Ce pacte amène également une deuxième notion absolument disparue de la vie politique actuelle : l’engagement et la responsabilité devant le peuple. Il ne pensait certainement pas que tous les candidats signeraient et que la valeur du contenu s’évanouirait ainsi rapidement. Il n’empêche qu’ils sont engagés et que, par conséquent, nous avons pour la première fois en France un document qui nous permette de les juger. En ce qui concerne sa venue à Marseille, ceux qui étaient présents se souviennent certainement de sa colère en apprenant apparemment la réalité de la situation de l’incinérateur et pour finir de son attitude vis-à-vis de Gaudin, des associations locales et de sa déclaration d’ouverture. Entre Volem rien foutre et Nicolas Hulot, il est un lien qui les met sur un piédestal : ils existent, ils font et leur sincérité n’est pas à mettre en doute en premier. Les réduire à leurs stricts défauts témoigne d’une déformation pathologique inquiétante qui m’amène pourtant à une pirouette finale : si parfois vous vient l’envie de trouver ce journal un peu faible, voire mauvais, mal écrit ou encore ennuyeux, n’hésitez pas : envoyez-nous vos articles plutôt que de râler dans votre coin !
Emmanuel Germond
Notes
[1] Appliquant le postulat de Guy Debord dans son livre la société de la connerie : « La vie est devenue connerie et la connerie est devenue la vie. »