Jusqu’ici tout va bien présenté à La Cité, Maison de Théâtre
Smells like teen spirit
La Cité continue son travail d’investigation du réel en mettant en scène, sans fard, le quotidien d’une Zone d’Education Prioritaire.
La compagnie de la Cité est particulièrement investie dans son programme des écritures du réel : une démarche consistant à puiser dans le réel les sujets à explorer sur scène, afin de prendre une part active au présent du monde. Jusqu’ici tout va bien prend ancrage dans un collège en ZEP, chassant toute vision parcellaire ou fantasmée que le public pourrait en avoir. Cette enquête-performance, menée et jouée par Maude Buinoud, dépeint un de ces lieux où l’éducation, et plus généralement la vie, peuvent être un combat quotidien.
La comédienne s’est livrée à un long travail d’immersion dans un établissement marseillais, croquant les attitudes corporelles et comportementales des élèves comme des enseignants, à la faveur de cours de théâtre ou d’une plongée dans les salles de cours et sous le préau. Seule sur scène, elle investit tous les rôles avec une énergie et une précision savoureuses. Aux moments de tension succèdent des passages introspectifs ou poétiques, dans une tragi-comédie de tous les instants. On rit de l’attitude des ados, notamment dans leur rapport à la réalité. On s’interroge sur le rôle de l’école et la place qu’y occupent les collégiens. On se demande, avec eux, comment adapter l’apprentissage à une telle variété de personnalités, parfois en grande difficulté, dans cette « dichotomie entre ce qu’on veut enseigner et ce qu’ils veulent apprendre ».
La pièce jouit d’une écriture précise et pudique. Sont subtilement dépeints les profs (ceux ayant cédé à la lassitude, ceux habités par la passion), considérés de passage dans un tel environnement, et leurs élèves, ces « victimes d’une société qui ne leur fera aucun cadeau », dont certains éprouvent un manque d’espoir en l’avenir, selon qu’ils sont « d’un côté ou de l’autre d’une porte ». L’opposition de ces réalités, couplée à un « certain désintérêt d’eux-mêmes » éprouvé par les adolescents, les pousse au questionnement : « Dans les yeux de ceux qui me demandent d’apprendre, je ne me reconnais pas. Qui voudrait m’écouter ? »
Beaucoup d’interrogations, comme une éternelle rengaine, conclues par le constat sensible et lucide d’un professeur qui évoque l’éducation, « cette aventure commune ponctuée de moments sublimes (…), bercée par la douce nonchalance des jours anonymes. »
Sébastien Valencia