Les Actes en silence à la Piscine de Frais Vallon
L’Interview
Mireille Batby (labelmarseille)
Ils auraient pu se contenter d’une simple expo d’art contemporain… Mais pour profiter pleinement du formidable espace de la piscine vidée de Frais Vallon, les trublions du OFF ont décidé, en confiant les clés à labelmarseille, de faire autrement : « plus radical, innovant et excitant ». Résultat : une nuit entière de créations (performances, installations, concerts), in situ et « en silence ». Explications.
Qu’est-ce que labelmarseille ? Que se passe-t-il aux Grands Terrains ?
C’est une association d’artistes, de scientifiques et de personnes du milieu de la culture qui ont décidé de soutenir la création d’œuvres transdisciplinaires, en aidant les artistes à définir leur projet, à le mettre en place et le produire. A la création du collectif à Lyon, on l’a appelé labelm parce que les prénoms de tous les membres commençaient par un « m ». Quand on est venu s’installer ici il y a cinq ans, il était évident que ce « m » deviendrait « Marseille ». Après une première saison sur le thème de la confrontation au sein de la galerie Vol de Nuits, on a décidé avec Claire Rossi de monter un lieu dédié aux laboratoires de recherches : les Grands Terrains, que l’on partage désormais avec Couleur Cactus (association de promotion du livre), la Luciole (association de médiation pour les personnes handicapées) et un collectif de jeunes artistes. Chaque année, le labelm aide quatre artistes à travailler sur le transdisciplinaire dans le cadre d’une résidence.
Comment définiriez-vous la transdisciplinarité ? En quoi se distingue-t-elle de la pluridisciplinarité ?
Les projets transdisciplinaires correspondent à l’envie d’un artiste d’aller travailler avec un artiste d’une autre discipline, avec un scientifique ou des amateurs. C’est donc un mélange de gens avant d’être un mélange de genres. En ce sens, cela nécessite un réel accompagnement des artistes : il y a de l’ego chez eux, et une certaine peur chez les amateurs…
Que sont les Actes ?
On travaille à définir le transdisciplinaire de façon à fabriquer des formes qui soient diffusables et exportables comme un spectacle d’art vivant. Chaque année, nous invitons quatre artistes en résidence pendant six mois, qui choisissent eux-mêmes de collaborer avec des personnes extérieures, dont les travaux entrent en résonance avec les leurs. A la fin de la résidence, on leur demande d’acter leur projet dans un espace, c’est-à-dire de montrer leurs travaux à un public. Sans que ce soit forcément fini. Par exemple, Enna Chatton et Carole Rieussec présenteront la fin de leurs travaux l’année prochaine au GMEM et aux Instants Vidéo. Dans la piscine, elles présenteront un work in progress.
Pourquoi travailler sur le silence ?
Le silence, c’est extrêmement bruyant. On l’entend parce qu’il y a eu du bruit, un cri, du chant, de la réaction. Cela correspond selon moi à la position de l’art aujourd’hui. Il y a eu du travail, des choses, et maintenant, on ne l’entend plus. Je crois qu’on confond l’art avec la culture ; c’est un énorme problème. Du coup, la position d’une recherche artistique est très difficile à mettre en place. Il faut forcément qu’à la fin, ça devienne un produit culturel, ludique, ouvert à tous. Ce n’est ni bien ni mal, mais ce n’est pas le propos de l’art. Une démarche artistique s’inscrit dans une histoire, dans l’histoire personnelle d’un artiste mais aussi dans l’histoire de l’art, c’est un cheminement, une avancée vers quelque chose… Aucun artiste à notre époque ne peut dire que le silence ne résonne pas pour lui.
Pourquoi et comment investir une piscine ?
Je voulais un lieu reconnaissable pour son activité, mais dont l’activité est justement interrompue. Je ne voulais pas d’une énième usine désaffectée, de tous ces lieux que l’art a déjà investis, réinvestis et surinvestis. Stéphane (ndlr : Stéphane Sarpaux, directeur du OFF) est un nageur régulier et pour ma part, en tant que performeuse, je travaille beaucoup dans l’eau. La piscine s’est donc imposée. Celle de Frais Vallon allait être vidée avant travaux, ils ont avancé d’une semaine pour nous.
Frais Vallon fait partie du mouvement des mille piscines, des piscines tournesols construites dans les années 70 dans des zones défavorisées. C’est très daté, mais ça reste un bon outil, très beau. Avec les trente artistes, on a envie d’investir le lieu au maximum sans en faire un musée, en le respectant. Il n’y a pas de plafond, donc on sera tous en interaction les uns avec les autres : on est encore dans le transdisciplinaire.
Propos recueillis par Cynthia Cucchi