Vous aussi vous avez l’air conditionné à la Galerie du 5e
Appel d’art
Pour sa nouvelle exposition à la Galerie du 5e, le réseau Marseille Expos confie les clés à Camille Videcoq, tête pensante de l’art contemporain, qui signe un commissariat critique, dans le bon sens du terme.
Vous aussi vous avez l’air conditionné relève le défi d’une conciliation entre l’art contemporain et ce temple du « fétichisme de la marchandise » que sont les Galeries Lafayette, qui s’achètent une conduite culturelle en s’offrant un espace dévolu à l’art contemporain.
Si les expos Luxe, Calme et Volupté se fondaient sagement dans le décor en proposant des œuvres plutôt bon chic bon genre et faussement sulfureuses, l’exposition Vous aussi vous avez l’air conditionné assume l’espace dans lequel elle se déploie. Avec ce titre polysémique, Camille Videcoq s’attaque au symbole, mais surtout à l’âpreté fonctionnelle du vrai/faux white cube de la Galerie du 5e. Il fallait bien jouer avec le système des conduits de climatisation, du placoplâtre, des néons tristes, et se jouer d’une architecture de grand magasin, ce « junkspace » impossible à camoufler. Autant en tirer parti et le questionner. A partir de là, la commissaire établit des rapports entre conditionnement psychologique, espaces conditionnés et domestication de l’air lui-même, convoquant les œuvres de treize artistes propices à semer dans l’esprit de chacun le début d’une réflexion…
L’exposition s’articule donc selon les différentes façons d’entendre l’idée de conditionnement. « Emballage » — et emballement — chez Nicolas Momein qui révèle des matériaux nécessaires mais souvent jugés ingrats et donc cachés la plupart du temps. Ici, il offre au crin utilisé pour rembourrer les chaises un moment de gloire sous les spots de la galerie d’art en érigeant le matériau au titre de matière noble, tout en épousant les lois architecturales insolites de l’espace. Chez Arnaud Maguet et ses Banshees, affiches de filles en folie, il s’agit d’un conditionnement par mimétisme. Le stratagème fut imaginé par le manager de Sinatra qui, pour propulser la star en haut des hit-parades, embaucha des filles pour se pâmer devant le crooner. Par effet miroir, les autres en firent de même… Chez Véronique Rizzo, on se sait sous haute surveillance, visé par les mille yeux de son Panopticon, sculpture qui fait écho au système de vidéo-surveillance : conditionnement et obéissance par l’autorité et la hiérarchie évoquent l’expérience de Milgram… Enfin, Marc Quer nous ramène brutalement à la merditude des choses, dans une crudité salvatrice. Extirpant la charge humaine et poétique d’une réalité qui semble pourtant souvent en être dénuée, il se fait le garant d’un sens critique qui nous ramène à un certain degré de conscience jusqu’à notre prochaine journée shopping.
Céline Ghisleri