Histoires vraies de Méditerranée
L’Interview
François Beaune
Jeune écrivain à la plume déjà très affûtée, François Beaune est parti faire le tour de la Méditerranée à la découverte de ses habitants et de leurs histoires vraies. Rencontre avec le porteur de ce projet atypique.
Comment est né ce projet ?
L’histoire du projet a commencé avec le bouquin de Paul Auster, True Tales of American Life. Il s’agit d’un recueil d’histoires vraies de gens vivant aux Etats-Unis à la fin du XXe siècle. Ça m’a vraiment intéressé, autant pour le côté historique que littéraire. C’est comme ça que j’en suis venu à un projet semblable à Paris, pour le festival littéraire Paris en toutes lettres. Mais je n’étais pas satisfait par la manière dont on récoltait les histoires. J’ai donc décidé de faire la collecte moi-même plutôt que d’attendre que l’on m’en envoie, comme le faisait Paul Auster. J’avais envie de rencontrer les gens qui racontaient ces histoires. J’ai commencé à Manosque et puis à Marseille lors de ma résidence à la Friche, avant d’en venir aux Histoires Vraies de la Méditerranée avec Marseille Provence 2013.
Qu’est-ce qu’une histoire vraie ?
Ce sont des histoires que l’on a envie de partager avec tout le monde, qui ont une signification pour nous. La seule contrainte imposée, c’est le temps, il faut que ce soit court. Au niveau du thème, c’est complètement libre : chacun peu raconter ce qu’il veut, que ce soit drôle ou tragique. Il y a le côté oral : ces histoires se racontent, elles ne se lisent pas. Une bonne histoire vraie, c’est une histoire qui émeut, comme toutes les bonnes histoires.
Comment s’est déroulée votre collecte ?
Je suis parti sans aucun a priori, je ne connaissais ni la culture, ni les gens. C’était d’ailleurs assez désarçonnant pour eux. Quand je leur demandais de but en blanc de me raconter une histoire vraie, ils me répondaient : « Tu veux quoi ? Une histoire de guerre, d’amour, d’immigration ? » J’ai passé environ trois semaines dans chaque pays, de l’Espagne à la Turquie en passant par l’Egypte, le Maroc, la Palestine… Sur place, j’ai aussi voulu créer des liens avec des associations, des écoles pour assurer le relais. A Istanbul par exemple, on a travaillé avec des lycéens qui ont récolté des histoires de leurs parents, grands-parents…
Quel est le type d’histoire que l’on vous a le plus souvent racontées ?
On est surtout dans de l’universel avec des histoires d’amour, drôles, tragiques. Et puis il y a des histoires qui s’appliquent davantage à la réalité historique. C’est d’ailleurs intéressant car c’est en écoutant les histoires ordinaires des gens que l’on découvre la réalité historique.
L’actualité a-t-elle eu un impact dans certaines des histoires que l’on vous a racontées ?
Dans certains pays, oui. En Palestine, c’était l’occupation par l’armée israélienne. Leurs histoires témoignent de cette vie, tout simplement parce que cela s’impose pour eux. Hebron, les check points, les colons et les soldats, l’endoctrinement des deux côtés, c’est ancré dans leur existence. En Israël, beaucoup ont parlé d’immigration ; en Egypte, c’était la révolution.
De quelle manière ces histoires sont-elles restituées sur le site ?
Il y a un gros travail d’éditorialisation fait par Fabienne Pavia, éditrice du Bec en l’air. Je lui envoie les histoires, elle les écoute, les lit et les remet en page pour le site.
Pour l’instant, toutes les histoires n’ont pas encore été toutes mises en pages car il y en a plus de mille. Elles sont cependant toutes disponibles sur le site. Dans un même temps, Fabienne et moi choisissons tous les mois un thème et dix histoires correspondantes. Pour avril, les histoires concernaient des animaux. C’est une manière de mettre en avant les récits.
Le site du Monde relaie également notre travail et Arte Radio met en ligne des créations sonores autour de ces histoires vraies que l’on élabore spécialement pour eux.
Allez-vous retourner dans les pays de vos collectes ?
Oui, j’y tiens. D’abord pour les remercier et pour les informer des suites de ces Histoires vraies. Je suis énormément reconnaissant envers toutes ces personnes qui ont choisi de jouer le jeu, de partager un pan de leur vie. Ça a été une richesse incroyable pour moi, mais aussi, je l’espère, pour tous ceux qui vont aller lire et écouter ces histoires. Peut-être que ça permettra aussi de changer la vision que l’on a de certains pays.
Ce voyage vous a-t-il inspiré pour l’écriture ?
Oui, j’ai eu envie de donner mon point de vue. Ça sera donc un récit vraiment personnel, entre poésie, documentaire à la Herzog et carnet de voyage. J’y intègre mes propres histoires vraies et mon ressenti sur ce monde méditerranéen, sur ce que j’ai vu et sur ces histoires dont certaines m’ont particulièrement touché. J’espère qu’il donnera à voir une certaine réalité de la Méditerranée d’aujourd’hui, loin des clichés, et que les lecteurs se poseront des questions sur leur propre histoire et, pourquoi pas, que ça leur donnera envie de se raconter à leur tour.
Y aura-t-il des événements particuliers autour de ces Histoires vraies ?
Il y aura deux temps forts importants. Le premier aura lieu au MUCEM, qui est devenu partenaire du projet. Les Histoires vont devenir une collection permanente du musée, comme une bibliothèque sonore ouverte. Le second se déroulera à la fin de l’année à la Friche. On va transformer le Cabaret Aléatoire pour en faire un bar confortable où se raconter des histoires et découvrir les différentes influences de la Méditerranée.
Et après 2013 ?
C’est une base de données incroyable qui pourrait servir à tout le monde : chercheurs, étudiants, écoles, associations… On continue de travailler ici avec les élèves de Marseille, la Criée, la Friche… Ce n’est que le début. J’aimerais que l’on arrive à pérenniser le projet et faire en sorte que d’autres gens se l’approprient.
Propos recueillis par Aileen Orain