A Marseille, la mairie veut encadrer la végétalisation des rues
Face à la prolifération des rues fleuries par les habitants, la Ville a adopté une charte de végétalisation et surtout un visa vert. A Marseille, il faudra désormais une autorisation pour cultiver son bout de trottoir.
De la rue de l’Arc, au cœur de Noailles, la végétalisation citoyenne a gagné, lentement mais sûrement, bien des trottoirs du centre-ville. Longtemps, les élus ont ignoré les petits pots de fleurs qui viennent souvent remplacer des jardinières municipales absentes ou vides. Depuis, c’est une explosion verte qui a gagné les rues du centre-ville, multipliant les pots au pied des pas-de-porte. Le politique a tardé à s’emparer de ce sujet de réappropriation de l’espace public.
Elle le fait aujourd’hui en encourageant les jeunes pousses, mais aussi en posant quelques tuteurs pour encadrer cette pratique spontanée. Sous la plume de Monique Cordier, adjointe déléguée aux espaces naturels et aux parcs et jardins, contactée par mail, cela donne cette formule tout en équilibre : « Accompagner et soutenir les habitants dans leurs initiatives de végétalisation de rues tout en restant conforme aux règlementations applicables sur l’espace public et sur la voirie. »
Bordeaux, Grenoble, Le Havre et plus récemment Paris ont adopté des chartes de végétalisation assorties d’autorisations. Marseille l’a fait lors du conseil municipal du 26 octobre. Un « visa vert » sera désormais à demander à la Ville pour pouvoir verdir le bout de béton devant son paillasson. Selon Monique Cordier, la municipalité va examiner en priorité les demandes concernant des « projets de végétalisation des trottoirs et des pieds d’arbres ». Mais les rues actuellement végétalisées sont aussi visées. Les habitants devront-ils demander leur visa a posteriori ? « Cela serait préférable, oui », annonce Cordier.
Fleur bio de macadam
Par visa, entendez autorisation. Pour chaque implantation, un habitant devra faire la demande en son nom propre et faire jouer son assurance pour couvrir les éventuels pépins. Sa demande devra être circonstanciée, plan et description « des éléments de végétalisation » inclus.
La charte réglemente aussi la gestion quotidienne de ces bacs à fleurs : arrosage, entretien, recours à « des méthodes de jardinage biologique tels que fumure organique, compost ménager, terreau ou traitements stimulant les défenses naturelles. » En l’absence de réponse de Monique Cordier sur les modalités d’application, une mention reste énigmatique mais semble de nature à menacer une partie des espaces déjà végétalisés : « Sauf cas particulier, la largeur minimale de passage à respecter est de 1,40 m. » Largement supérieur à la taille de certains trottoirs aujourd’hui fleuris.
Avec ces nouvelles règles, Marseille n’est pas sur le papier la ville la plus restrictive. En 2013, Bordeaux était une des premières grandes agglomérations à proposer à ses habitants de se saisir de leur kit de jardinage. La démarche prend alors la forme d’une demande de végétalisation, possible en ligne, accompagnée d’une charte. Les règles sont rares mais plutôt contraignantes si on les respecte à la lettre : « Afin de ne pas gêner la circulation des piétons, la largeur des espaces aménagés contre les façades sur le domaine public sera au maximum de 15 cm. L’épaisseur de la végétation devra aussi être contenue dans cette même mesure de 15 cm et ceci jusqu’à une hauteur de 2 m. » Les riverains ont également la possibilité de demander à aménager le pied des arbres ou qu’une jardinière soit ouverte dans le macadam par les services municipaux. Quant aux végétaux, ils peuvent être mis à disposition par la Ville. En juin, Paris a adopté un dispositif similaire, pouvant même concerner les potelets, les murs végétaux ou le mobilier urbain. A Marseille, point de folie de ce type ni de kits mis à disposition.
Une autorisation pour trois ans
« Aujourd’hui, il est important pour la collectivité d’encadrer et de contrôler les opérations de végétalisation afin de garantir leur compatibilité avec les différents usages au sein du domaine public », argumente l’adjointe déléguée aux espaces naturels et aux parcs et jardins dans la délibération qui sera présentée. Le « visa vert », son petit nom marseillais, sera à demander à la Ville. Instruit par le service des espaces verts, il a « valeur d’autorisation d’occupation temporaire » et est valable trois ans.
Bonne nouvelle toutefois pour ceux qui auraient peur de voir bien des saisons passer avant que leur requête ne soit accordée : si la demande n’est pas examinée dans les trois mois à compter de sa date de dépôt, elle sera de fait considérée comme acceptée.
L’accès à l’eau et à la terre
Les associations ne semblent pas avoir été consultées pour la rédaction de cette charte et de ce visa. Monique Cordier reconnaît cette absence de concertation. C’est avant tout les services internes de la Ville et notamment le service juridique qui ont été mis à contribution pour assurer la légalité de cette mise aux normes des plantations de rue.
Souvent, la végétalisation prend plus la forme de collectif informel que d’association en bonne et due forme. Ailleurs, « la plupart des collectivités ont été mises devant le fait accompli, commente Jacqueline Gambini de Passeurs de jardins. Les institutions gardent une certaine tolérance. La question est surtout celle de l’accès à l’eau, voire à la terre. » Peut-être que ces questions seront abordées dans le futur guide de la végétalisation que prépare la Ville en parallèle. Celui-ci comprendra le « type de contenants recommandés, la liste de végétaux conseillés, les prescriptions d’entretien… » « Il sera fourni par le Service Espaces Verts et Nature aux végétaliseurs en cours d’obtention du Visa Vert », complète l’élue.
Les mois qui viennent nous diront si les démarches administratives réclamées ralentissent la propagation de la vague verte. Certaines villes fournissent les végétaux ou les vendent à prix cassé. Comme Paris l’a fait le 10 octobre avec une foire aux plantes à 1 euro. A Marseille, en regard de ces nouvelles contraintes, aucune incitation à la végétalisation ne semble tenir. En 2013, l’adjointe aux espaces verts d’alors, Laure-Agnès Caradec, évoquait un budget spécifique. A l’époque, elle avait offert une centaine de plantes au collectif Jardinons au Panier. Depuis, plus rien, jusqu’à cette charte et ce visa. Mais on voit quand même mal les agents municipaux s’attaquer aux petites plantes choyées par les habitants.
Clémentine Vaysse