Afrik’Aioli de Christian Philibert
L’Interview
Christian Philibert
Les Quatre Saisons d’Espigoule, film culte s’il en est, c’est lui, Christian Philibert, cinéaste remarquable et atypique dans un paysage cinématographique hexagonal bien souvent formaté. Douze ans après son dernier long-métrage, l’excellent Travail d’Arabe, le réalisateur revient sur les écrans avec Afrik’Aïoli, embarquant une poignée d’Espigouliens dans les contrées sénégalaises, signant une comédie humaniste hors norme, et terriblement vivifiante.
Comment est née l’idée de départ du film ?
L’idée d’entraîner Jean-Marc (ancien patron du bar d’Espigoule – ndlr) vers d’autres cultures, d’autres contrées, c’était un projet qui datait de l’époque des Quatre Saisons… L’idée aussi d’aller voir ailleurs, de créer un choc culturel. Le film a pris forme avec Jacques Dussart, un ami bien implanté dans un petit village du Sénégal, Toubacouta, où l’on a recruté le casting et tourné. Il avait projeté Espigoule là-bas, les gens avaient adoré, ils s’étaient sentis très proches du film, les liens ont donc été immédiats. Jean-Marc s’est senti comme un poisson dans l’eau : il y a un même rapport à la nature, on reste dans une certaine forme de ruralité. C’est ça qu’on voulait mettre en images, sans nier les différences culturelles.
De fait, comment s’est construite la production du film ?
On savait pertinemment qu’il fallait tourner rapidement, dans une certaine urgence, pour conserver cette fraîcheur. Il n’était donc pas question de passer des mois à l’écrire. Quand bien même, si j’avais mis ce scénario sur papier, le résultat aurait été moins riche ! De toute façon, nous n’aurions pas trouvé un centime de financement. On a donc foncé, avec un minimum de moyens. Le producteur a débloqué un budget de court-métrage. On a donc tourné pendant quinze jours en Afrique, avec une petite équipe. C’est là qu’on touche les limites du cinéma français, sous perfusion, qui a oublié sa fonction d’origine.
As-tu conscience de ta position un peu atypique dans la production hexagonale actuelle ?
Tu parles ! (rires) Je travaille sur des formes entre le documentaire et la fiction, je suis d’ailleurs certain qu’il y a beaucoup de choses à faire dans ce sens… Mon cinéma n’est pas formaté, sans scénario qui réponde aux codes classiques du cinéma français, c’est donc un travail qui paie le prix de son originalité. Pourtant, il me semble que mes films sont porteurs de sens, il n’y a qu’à voir les réactions sur Espigoule. C’est un cinéma qui crée du lien social, ce qui n’est pas rien. Mes films sont même projetés aux Baumettes, comme Travail d’Arabe ; j’ai même appris que des équipes sportives se les passent dans le bus, comme les équipes de rugby de Castres ou de Toulon ! (rires) Je me souviens d’une projection d’Afrik’Aïoli devant 300 élèves chauds bouillants d’un lycée de Nice… Ils se sont marrés, ont applaudi, ont fait un super débat, les professeurs n’en revenaient pas.
Difficile de faire ça avec d’autres films français…
Exactement ! Et ça justifie totalement de le voir en salle, contrairement à tous les téléfilms qu’on produit chaque année… C’est aussi un cinéma qui crée du mythe sur un plan local, comme avec le phacomochère d’Espigoule, mythe que les gens se sont appropriés. C’est Serge Daney qui disait que la fonction du cinéma était de créer du mythe. Pour moi, c’est fondamental.
Afrik’Aioli semble utiliser les clichés pour mieux les détourner, et véhiculer un message humaniste…
Complètement. Jouer avec ces clichés, ça faisait partie du projet, rire ensemble de notre histoire commune, voire de notre histoire douloureuse. Il fallait jouer avec pour mieux les abattre. C’est le cas aussi pour la Provence, à l’époque d’Espigoule. Mais derrière ces clichés, il y a une vraie humanité, tout le monde se découvre les uns les autres.
Le danger étant de se voir taxer de cinéaste régionaliste…
C’est une étiquette que j’assume. Pour autant, c’est un cinéma universel et humaniste. On va du local vers l’universel. C’est ce cheminement qui m’intéresse. Avec Afrik’Aïoli, l’histoire de deux Espigouliens qui partent au Sénégal, et du choc des cultures, c’était une façon de s’ouvrir au monde, d’assumer cette universalité. Mais réduire mon cinéma au régionalisme, c’est dommage… C’est comme si le cinéma de Dumont ne se limitait qu’aux gens du Nord.
Comment ont réagi les Espigouliens à la projection du film ?
On n’a pas encore fait de projection gratuite sur la place du village, pour des raisons économiques, mais je pense que pas mal sont allés le voir en salle… On en fera sans doute un événement dans les mois à venir. En attendant, les gens peuvent suivre l’actualité des projections sur le blog d’Espigoule, et participer quelque part à cette nouvelle aventure cinématographique !
Emmanuel Vigne
Afrik’Aioli : comédie de Christian Philibert (France/Sénégal – 1h35) avec Jean-Marc Ravera, Mohamed Metina… Actuellement en salles
Rens. www.espigoule.brokatof.com