Samuel Rochery - Solo de basse en plein air

Vus sous un certain angle, mes livres sont des remèdes de grand-mère contre le désir de prendre racine dans la poésie. Régulièrement, tout aérer. Sur le temps long : une idée du poème la plus vague possible, rumorale, tout en serrant les vis d’une sensation toujours plus précise de la forme. Il manque quand même la grand-mère à mon histoire d’antidotes (même pas traditionnels). Je sais qu’elle se méfie des artisans du vers à bac plus trente, préférant le vinaigre blanc à Monsieur Propre, mais je ne connais pas son nom, si ce n’est pas Poésie. En attendant, ce sont des ingénieurs du son comme Steve Albini, des albums d’afrobeat, ma pratique de katas respiratoires, le rythme de mes métiers qui me servent d’outils pour continuer d’imaginer une forme. Je lirai des extraits de mes livres qui montrent comment je n’ai pas vraiment écrit de poèmes en tant que poète. Il y a des terreaux d’écriture à l’improviste, et des racines qui volent. Il y aura aussi des moments d’un livre que je suis en train de travailler, lequel correspond à un contexte rythmique nouveau pour moi : après avoir fait plein de petits boulots et enseigné la philosophie, je travaille aujourd’hui comme ouvrier horticole dans la région où je vis. Tiens, une contrainte super pour l’écriture : 40 heures par semaine sous serre, aux machines, en plein air, les mains prises. Poète, tu peux le faire. Le bleu de travail te va si bien.

L’enjeu des «  Solos » est de promouvoir une œuvre contemporaine en invitant son auteur⸱e à produire un parcours rétrospectif et réflexif à travers ses livres – ou, plus généralement, à travers ses pratiques poétiques –, articulant temps de lecture, commentaires, échanges avec le public. Ils peuvent prendre diverses formes — de la lecture à la performance, de la conférence à la discussion, en fonction de la spécificité du travail et des aspirations des invité⸱e⸱s. Enregistrés et filmés, depuis leur création en 2019, progressivement éditorialisés et mis en ligne, les Solos constituent une série très originales et une collection d’archives de grande valeur au sujet des pratiques actuelles de la poésie. Depuis 2023, ce protocole peut être augmenté jusqu'à prendre la forme d'une micro-résidence au cours de laquelle ont lieu, en plus du Solo « classique »,  un temps pédagogique et un temps de travail à la bibliothèque du Cipm aboutissant à une création originale destinée à être publiée en ligne.