C’est arrivé près de chez vous | Le Bouillon de Noailles
Un grand plat pour l’humanité…
Rue de l’Arc, une association de quartier a plusieurs casseroles sur le feu. Toutes sont des recettes imaginées collectivement par Claude, Nadia, Sandra, Elisabeth, Mo, Mathilde ou encore Alice et bien d’autres… Sous les couvercles, tout un tas de projets de liens sociaux autour de la cuisine pour les habitants de Noailles (mais pas que) à se mettre sous la dent. Rencontre avec un Bouillon aux petits oignons.
Noailles, en plein cœur du centre ville. Un quartier populaire, vivant, survivant, incroyablement ancré dans l’identité marseillaise. «
J’ai vécu pendant quinze ans au-dessus du marché des Capucins, commence Claude,
et je me suis dit que ce serait formidable de permettre aux habitants de mieux se connaître. » Il imagine un lieu qui pourrait ressembler à une entreprise d’insertion pour les personnes éloignées de l’emploi — idéalement un restaurant —, qui fonctionnerait comme une école et grâce auquel tous les habitants du quartier pourraient se rencontrer, se réunir autour d’un repas, créant alors une mixité sociale grâce à des tarifs solidaires et des portes grandes ouvertes. Avec ses amis, du coin depuis longtemps eux aussi, ils créent début 2020 l’association Le Bouillon de Noailles qui, à peine son gaz allumé, se voit aussitôt éteint par la pandémie.
«
Après de longues semaines chacun chez soi, il n’était plus question de passer du temps à faire des démarches ou autres dossiers pour trouver un lieu. » Pas (encore) de murs ? Tant mieux, c’est dehors que ça se passera. «
On a tout de suite mis en place un système de cuisine mobile, en regroupant du matériel et en organisant des évènements. Les ateliers de cuisine étaient un prétexte pour se rencontrer, et de grands et joyeux banquets ont commencé à fleurir dans Noailles, comme lors du festival de la rue de l’Arc où on est aujourd’hui installés pour nos bureaux. » Ces restaurants éphémères sont tantôt en partenariat avec d’autres associations du quartier ou des Maisons Pour Tous, tantôt proposés à des lieux culturels de la scène marseillaise, où l’équipe de l’association vient animer un repas. «
La Friche La Belle de Mai, le Théâtre La Cité ou encore le Talus sont des lieux qu’on a accompagné pour diverses occasions, à chaque fois sur mesure : on a pu cuisiner avec la famille de jeunes danseurs en résidence, inviter un chef cuisinier qui apprend sa technique à des bénévoles, proposer à des personnes fraîchement arrivées en France de faire du service grâce à un membre de notre équipe anciennement maître d’hôtel dans de grands établissements… Ces moments permettent non seulement aux gens de se rencontrer, mais ce sont surtout des actions très formatrices pour ceux qui sont moins à l’aise, et les voir fiers d’eux nous rappelle comme c’est nécessaire de leur donner de la place. »
La Cuisine du 101 a ouvert en octobre. Située à Saint-Mauront, elle est le résultat d’un appel à projet national lancé par le ministère du Logement et remporté par l’association et d’autres acteurs. «
Le but de ce projet est de donner un accès à l’alimentation aux personnes logées à l’hôtel ou en foyer. Car bien qu’elles bénéficient d’une aide alimentaire, ces personnes ne sont pas libres de s’alimenter comme elles l’entendent. Dans ces types de logements souvent très précaires, les espaces de cuisine n’existent pas ou peu. Ici, on ouvre le lieu du lundi au samedi, pour les personnes issues de ces logements comme pour les habitants du quartier. En plus de cuisines toutes équipées qui permettent à huit personnes de cuisiner en même temps, il y des salles à manger, un accès à l’informatique, un art thérapeute ou encore un travailleur social qui peut orienter des visiteurs en quête de certaines informations. » Si cet espace est plutôt destiné aux adultes, un autre vient quant à lui d’ouvrir rue d'Aubagne et y accueillera dès janvier des enfants de l'école primaire Chabanon rencontrant des difficultés d'apprentissage. C’est le très prometteur « Espace des Enfants Autonomes », pensé par l’association comme un atelier de cuisine qui suscite un retour vers la confiance en soi et permet d’aborder l’école de manière plus sereine. Lors de ce moment ludique, les nombreux outils auxquels l’association a réfléchi et mis en place par les animatrices encadrantes remplacent le soutien scolaire, pas toujours adapté à tous.
À l’été 2020, tandis que déjà pas mal de choses bouillonnent dans cette jolie cocotte associative, vient soudain l’idée d’un livre de cuisine. À l’initiative de Claude et orchestré par son ami Mo qui publie ses textes chez Le Port a jauni (maison d’édition marseillaise bilingue français-arabe ndlr), le petit ouvrage est finalement pensé sous forme de revue, qui n’utilisera la cuisine que comme prétexte et mettra au cœur de ses recettes les anecdotes des habitants de Noailles. Elle s’appellera
Ingrédient. Dans sa rue, celle de l’Académie, Mo part à la rencontre de ses voisins. «
J’ai longuement discuté avec des personnes qui vivaient comme moi ici depuis vingt ans! Quand j’ai fait le numéro sur les coiffeurs, c’était pas gagné. Ils sont en train de couper les cheveux et tu leur demandes une recette… On m’a pas trop pris au sérieux ! Puis cinq minutes se transforment en une heure et demie, et c’est génial ! » Parce qu’à travers ces conversations anodines, ce sont toutes les histoires d’une vie qui s’échappent. Entre les lignes, on entend chanter les accents et on rencontre de belles personnes, elles-mêmes émues de se savoir quelque part dans les pages de la revue. Mo écrit les trois premiers numéros, sortis ensemble à l’automne 2020. «
J’ai charté un peu l’écriture et les thèmes, avant de pouvoir laisser de la place à d’autres auteurs qui pourraient nous convaincre avec leurs idées. De la même manière qu’on voulait ouvrir des opportunités aux plus jeunes dans le projet initial de lieu d’insertion, on s’est dit que ce serait super de pouvoir donner une chance à de jeunes illustrateurs qui souhaitaient s’emparer d’un sujet. » La belle collection se décline alors en plusieurs styles grâce au talent de celles et ceux qui la dessinent. Puis des invitations inattendues, celle du Festival du livre gourmand, à Périgueux, et une autre à Montpellier pour exposer la collection de carnets, confortent les membres du Bouillon à poursuivre leur voie de conteurs. Les libraires du coin soutiennent la petite équipe de Noailles, acceptant de vendre les ouvrages dans leurs rayons malgré l’infime part qu’ils se font sur les ventes. « Ingrédient
est imprimé à Marseille et ne coûte que 5 €. C’est un acte militant de soutenir ce genre d’initiative et on est tout à fait reconnaissants de ceux qui nous accueillent dans notre démarche. »
Avec plusieurs actions par mois depuis deux ans, dix salariés, une quinzaine de bénévoles réguliers, et plusieurs numéros à paraître, le Bouillon de Noailles a su remarquablement mettre en avant son intention de créer du lien. Et pourtant, une dernière chose mijote tranquillement sur le feu… «
Le tiers-lieu est en cours, comme tant espéré ! Ce sera bien un restaurant ouvert le midi, et l’espace pour lequel nous venons de signer est collé à nos locaux, dans la rue de l’Arc. On prévoit une ouverture en 2024, on a hâte ! » On vous le dit, cette grande marmite-là a les plus beaux parfums du monde.
Hermine Roquet Montégon
Le Bouillon de Noailles : 7 rue de l’Arc, 1er.