Murmurations. Volet 2

Carte blanche aux ateliers partagés de Marseille : 16b éditions, A Plomb’, Atelier Vé, Chic d’Amour, Crocs, la FAM (Fédération Artistique de Marseille), Fuite, Hyph, Mastic, Panthera, Plage Avant, Yassemeqk.

Avec 16b: Lou Mérie, Angela NetchakÀ Plomb’Atelier Vé: Delphine Dénéréaz, Opale Mirman, Cyber Utopianism, Bridget Low, Valentin Martre, Léna Gayaud / Crocs: Marie Andrieu, Manon Dalmas, Paul Deberre, Kazuo Marsden, Anastasia Simonin / FAM, Fédération Artistique de MarseilleFuite: Mathieu Archambault De Beaune, Julien Carpentier, Quentin Dupuy, Matthew Gernt, Emma Pavoni, Léa Puissant, Bronte Scott /Hyph: Delphine Mogarra, Charlotte Morabin, Javiera Tejerina, Pierre Pauselli /Mastic: Valentin Vert, Victor Calvi, Louise Belin, Alexandre Espagnol, Bronte Scott, Marie Perraud, Esther Maine, Anicet Oser, Clément Veiluva, Gaspard Postal, Adrien Lagrange, Montaine Jean, Joshua Leterreux, Coline Riollet, Alexia Abed / Panthera: Clara Buffey, Juliette Guerin, Elvire Ménétrier, Basile Ghosn, Nicolas Emmanuel Perez, Nadja Meier / Plage Avant: Louise Nicollon des Abbayes, Elodie Chabert, Romain Kloeckner, Camille Foucou, Maxime Delavet, Clément Faydit, Aurelio Gonzalez, Rozenn Voyer / Yassemeqk 

 

Fræme donne carte blanche à onze structures collectives fondées à Marseille, associant artistes, artisan·e·s et jeunes professionnel·le·s de l’art. Sans prétendre dresser un panorama exhaustif, une telle invitation impulse un processus de reconnaissance. Il était urgent de donner à voir l’actualité des champs ouverts par cet écosystème éclectique et les influences qu’il exerce sur la sphère artistique locale.

 

Le phénomène des collectifs marseillais témoigne d’une volonté de générer des lieux culturels hors des sentiers institutionnels. Qu’importe les modèles de gouvernances adoptés, le nombre de membres qui les composent, les collectifs revêtent des contours toujours mouvants et se fédèrent autour d’un enjeu crucial : la camaraderie. Dessiner des réseaux parallèles, inventer des espaces autogérés de socialisation et de création leur permet d’agir en marge, de revendiquer un contre-pouvoir.

 

Répondre à l’appel d’une institution, c’est franchir une étape paradoxale qui éclaire les dysfonctionnements auxquels les collectifs sont soumis. En 2022, doivent-iels encore accepter d’être rémunéré·e·s en visibilité? Quid des impératifs organisationnels et économiques ? À l’échelle de l’individu et du groupe, quelles stratégies mener ? Boycotter ou profiter ? Face à ces problématiques communes, les opinions et les initiatives divergent. Si chaque entité se situe différemment, toutes ont choisi de réinventer les dynamiques d’une expérience de cocréations incertaines, défaillantes et mutantes..

 

Murmurations#2 propose une réflexion sur le concept de « faire ensemble » en explorant les contradictions et les limites inhérentes au désir d’agir à plusieurs. Certain·e·s déplacent puis déclinent les lieux de leur quotidien dans la sphère institutionnelle, tandis que d’autres la miment, la squattent et s’en jouent. Les interventions, qu’elles soient plastiques ou performées, configurent des zones de rencontre et de dialogue. De tous ces discours émane un besoin d’affirmer leurs singularités, leur complexité intrinsèque. L’exposition, sans être réduite au rôle de témoin passif, en sera la complice grâce à des incohérences et des altérations ludiques. Ensemble, les collectifs ébranlent le confort esthétique dans lequel un tel événement pourrait facilement se complaire.

 

Alexia Abed


Tour-Panorama / Friche La Belle de Mai
Jusqu'au 16/10 - Mer-ven 14h-19h + sam-dim 13h-19h
0/3/5 €
www.lafriche.org
41 rue Jobin
Friche La Belle de Mai
13003 Marseille
04 95 04 95 04

Article paru le mercredi 14 septembre 2022 dans Ventilo n° 468

Habitacles, exposition des diplômé·es art & design / Murmurations, volet 2 à la Friche Belle de Mai à Marseille

Espaces à ménager

 

Intégrer, s’insérer, séjourner, territorialiser : autant de verbes qui se jouent de l’art contemporain, ces temps-ci, à la Friche La Belle de Mai. La rentrée s’est ouverte sur plusieurs expositions, dont Habitacles, ou la première monstration collective de la fraiche fournée des trente-sept diplomé·es art ou design des Beaux-Arts de Marseille. Mettant les ambitions collectives et individuelles en dialogue, c’est aussi un état des lieux des enjeux notables qui pétrissent les artistes dans la cité phocéenne.

    Intégrer est sans doute une des principales volontés d’Habitacles, exposition installée au cinquième étage de la Friche. Arts et designs s’y tissent diversement autour d’un thème astucieusement convoqué par la commissaire Jeanne Mercier, qui emprunte à l’écrivain toulonnais Jérôme Orsini son habitacle comme une « attitude », comme une « sensation », comme « une cause à approcher ». Une fois filées ainsi au-delà de la simple enveloppe, du simple bâti, les œuvres et leurs multiplicités offrent un ensemble bigarré de techniques, de démarches et de sensations, pensées sous forme de chantier, de mobilier, de corps, de confort domestique ou de présence à l’extérieur — un ensemble où se mêlent spontané, prémédité, autorisé, libérateur ou encore aliénant. Bouclant la circularité du parcours, nous sommes accueilli·es à l’entrée et à la sortie par des œuvres qui, ensemble, s’enquièrent de nos habitacles — au sens large, donc — futurs. [caption id="attachment_38250" align="alignleft" width="300"] Cartes postales du périurbain de Chiara De Bernardi[/caption] Comment habiter ? Exempts de tout cartel (un fait d’ailleurs pour le moins discuté par les artistes), les travaux esquissent pourtant des mouvements qui s’engagent, politiquement, socialement. L’exposition invite à déplacer voire à inverser nos points de vues, comme le propose, par exemple, Livia Vesperini-Roure avec sa série Testa, faite d’amphores en céramique, ovoïdes aux visages humains, sommet du crâne sens dessus dessous, posés contre un sol sableux, cous creux ouverts aux coups d’œil curieux. C’est en fait de plus en plus fréquent de voir les arts contemporains frayer avec l’artisanat, jusqu’à s’en revendiquer, comme des Potiches de Renouée Stolon. Elle qui emprunte ses techniques à la vannerie et à la poterie laisse ses œuvres dans une indécision assez abstraite, oscillant entre travail en cours, ouvrage abandonné et objet fini mais trop usé, tombant les traditionnelles hiérarchies de statut et de classe, mais aussi des représentations consacrées du progrès. Mais sculptures, peintures, dessins, œuvres performatives, installations, vidéo, 3D, publications ou vêtements font la multiplicité de l’exposition, conversant pour certaines avec des considérations féministes, avec des consciences écologiques, avec la prégnance capitaliste, contre l’uniformisation, ou pour d’autres, ironisant sur des réalités au long cours. Par exemple, avec son idée d’un monde calqué sur celui du jeu-vidéo, le triptyque motorisé de Philippe Chea Oum narre en peinture une existence dans laquelle nous serions cantonnés à l’un ou l’autre de trois rôles, représentés ici par l’évêque, le CRS ou le ninja. Côté design, Lucie Constantin propose des guides pour excursions dans l’envers du décor idéalisé de Marseille, faisant des zones laissées-pour-compte des lieux idéaux de soin pour nos petits maux ; un travail faisant écho un peu plus loin aux Cartes postales du périurbain de Chiara De Bernardi, qui préfère y montrer les meilleures prises de vues des « Menhirs des Pennes-Mirabeau » ou de l’« A7, Autoroute du Soleil » que du Vieux-Port ou de la Bonne Mère. Les contextes sont travaillés, pétris des spécificités micro et macro des actualités et des différents environnements, perçus à leurs différentes échelles, rendus à différents niveaux de compréhensions, et de sensations. Pour la plupart de ces artistes nouvellement breveté·es, la suite se verrait bien locale, à Marseille. Après la fermeture de Buropolis et à l’heure presque arrivée de sonner le glas des 8 Pillards, la question des espaces d’atelier se fait encore une fois tremblante. En un très bon écho à cette question concernant la distribution territoriale des économies de l’art à Marseille, le deuxième volet de l’exposition Murmurations, organisé par Fraeme, se tient au troisième étage. Le premier volet avait accueilli cet été quatorze lieux indépendants où se tiennent beaucoup des expositions qui animent Marseille. Ce second volet, plutôt consacré aux ateliers partagés et aux collectifs d’artistes, permet une efficace et assez globale (mais pas exhaustive) vision d’ensemble des organisations d’espaces artistiques — 16b éditions, Atelier Vé, la Fam, Fuite, Panthera… —, autonomes par choix ou par nécessité, ainsi qu’une critique assez sarcastique de l’économie et de l’institutionnalisation des arts. L’atelier À Plomb’ y a par exemple récupéré des matériaux après le démontage d’Art-O-Rama pour construire un arrêt de bus, espace d’attente dont l’affichage publicitaire et la piste audio à écouter promeuvent en fait une autre exposition, aux 8 Pillards, où ils résident. Les espaces leur ayant été confiés en carte blanche, la scénographie pensée par chaque atelier propose un parcours très fluide, où les œuvres communiquent et se répondent, saisissant parfois, on l’aura compris, avec une ironie toute naturelle, leur séjour sur ces cimaises comme une oblitération bien paradoxale.  

Margot Dewavrin

 

Habitacles, exposition des diplômé·es 2022 art & design / Murmurations, volet 2 : jusqu’au 16/10 à la Friche Belle de Mai (41 rue Jobin, 3e).

Rens. : www.lafriche.org