Habitacles

Exposition des diplômé·e·s 2022 art & design des Beaux-Arts de Marseille. Commissariat : Jeanne Mercier

« À travers différentes pratiques, peintures, sculptures, installations et design — comme un scanner, c’est un passage au crible du monde et de notre société, ses peurs, ses croyances comme ses utopies, sur une temporalité de trois ans. Les travaux exposés ont en commun d’interroger l’habitacle, non comme un édifice à construire ou habiter mais comme une cause à approcher. L’habitacle est moins bâti que senti selon la définition de l’écrivain Jérôme Orsini dans son essai éponyme Habitacles publié en 2020. Les visiteur·euse·s sont ainsi successivement invité·e·s à entrer dans une maison en chantier où cette dernière est désossée, analysée, bouleversée tout comme ses matériaux de fabrication. L’habitacle devient ensuite le corps. Son seuil, notre peau. Le geste devient vital. Son anatomie est explorée pour révéler nos histoires personnelles et collectives. Dans la dernière partie de l’exposition, ce sont les rituels et empreintes des habitant·e·s que les visiteur·euse·s découvrent. Iels parcourent un intérieur imaginaire, rencontrent les artefacts et les habitudes de ses occupant·e·s = ouvrir les frigos, fouiller dans les tiroirs, observer sur les murs, les souvenirs, les photos de famille, les tableaux, les miroirs, sur les tables, des fleurs, des jeux de société et pour finir regarder par la fenêtre ou jusqu’aux tréfonds de nos ordinateurs. »

 

— Jeanne Mercier

 

 

Proposé par Les Beaux-Arts de Marseille

En partenariat avec Fræme,  la Friche Belle de Mai.

 

Élodie Adorson
Camille Billoud-Boréas
Louise Belin
Léon Bloch
Floran Bodereau
Nina Boughanim
Sounaina Devi Bunma
Raffaello Burgo
Suki Carmouche
Anne-Marie Carrour
Philippe Chea Oum
Elsa Chemin
Lucie Constantin
Thilda Craquelin
Chiara De Bernardi
Maxime Douillet
Zoë Goultas
Margot Hofert
Léa Laroche
Zoé Ledoux
Eva Leroi
Ke Li
Mingyang Lyu
Maïlys Moanda
Houssem Mokeddem
Nina Moulin
Mathilde Nicol
Marie Perraud
Avel Plégat
Gaspard Postal
Léana Ramspacher
Eva Reinert
Clara Segura
Jacinthe Sicot
Renouée Stolon
Livia Vesperini-Roure
Coraline Viguier


Tour-Panorama / Friche La Belle de Mai
Jusqu'au 16/10 - Mer-ven 14h-19h + sam-dim 13h-19h
0/3/5 €
www.lafriche.org
41 rue Jobin
Friche La Belle de Mai
13003 Marseille
04 95 04 95 04

Article paru le mercredi 14 septembre 2022 dans Ventilo n° 468

Habitacles, exposition des diplômé·es art & design / Murmurations, volet 2 à la Friche Belle de Mai à Marseille

Espaces à ménager

 

Intégrer, s’insérer, séjourner, territorialiser : autant de verbes qui se jouent de l’art contemporain, ces temps-ci, à la Friche La Belle de Mai. La rentrée s’est ouverte sur plusieurs expositions, dont Habitacles, ou la première monstration collective de la fraiche fournée des trente-sept diplomé·es art ou design des Beaux-Arts de Marseille. Mettant les ambitions collectives et individuelles en dialogue, c’est aussi un état des lieux des enjeux notables qui pétrissent les artistes dans la cité phocéenne.

    Intégrer est sans doute une des principales volontés d’Habitacles, exposition installée au cinquième étage de la Friche. Arts et designs s’y tissent diversement autour d’un thème astucieusement convoqué par la commissaire Jeanne Mercier, qui emprunte à l’écrivain toulonnais Jérôme Orsini son habitacle comme une « attitude », comme une « sensation », comme « une cause à approcher ». Une fois filées ainsi au-delà de la simple enveloppe, du simple bâti, les œuvres et leurs multiplicités offrent un ensemble bigarré de techniques, de démarches et de sensations, pensées sous forme de chantier, de mobilier, de corps, de confort domestique ou de présence à l’extérieur — un ensemble où se mêlent spontané, prémédité, autorisé, libérateur ou encore aliénant. Bouclant la circularité du parcours, nous sommes accueilli·es à l’entrée et à la sortie par des œuvres qui, ensemble, s’enquièrent de nos habitacles — au sens large, donc — futurs. [caption id="attachment_38250" align="alignleft" width="300"] Cartes postales du périurbain de Chiara De Bernardi[/caption] Comment habiter ? Exempts de tout cartel (un fait d’ailleurs pour le moins discuté par les artistes), les travaux esquissent pourtant des mouvements qui s’engagent, politiquement, socialement. L’exposition invite à déplacer voire à inverser nos points de vues, comme le propose, par exemple, Livia Vesperini-Roure avec sa série Testa, faite d’amphores en céramique, ovoïdes aux visages humains, sommet du crâne sens dessus dessous, posés contre un sol sableux, cous creux ouverts aux coups d’œil curieux. C’est en fait de plus en plus fréquent de voir les arts contemporains frayer avec l’artisanat, jusqu’à s’en revendiquer, comme des Potiches de Renouée Stolon. Elle qui emprunte ses techniques à la vannerie et à la poterie laisse ses œuvres dans une indécision assez abstraite, oscillant entre travail en cours, ouvrage abandonné et objet fini mais trop usé, tombant les traditionnelles hiérarchies de statut et de classe, mais aussi des représentations consacrées du progrès. Mais sculptures, peintures, dessins, œuvres performatives, installations, vidéo, 3D, publications ou vêtements font la multiplicité de l’exposition, conversant pour certaines avec des considérations féministes, avec des consciences écologiques, avec la prégnance capitaliste, contre l’uniformisation, ou pour d’autres, ironisant sur des réalités au long cours. Par exemple, avec son idée d’un monde calqué sur celui du jeu-vidéo, le triptyque motorisé de Philippe Chea Oum narre en peinture une existence dans laquelle nous serions cantonnés à l’un ou l’autre de trois rôles, représentés ici par l’évêque, le CRS ou le ninja. Côté design, Lucie Constantin propose des guides pour excursions dans l’envers du décor idéalisé de Marseille, faisant des zones laissées-pour-compte des lieux idéaux de soin pour nos petits maux ; un travail faisant écho un peu plus loin aux Cartes postales du périurbain de Chiara De Bernardi, qui préfère y montrer les meilleures prises de vues des « Menhirs des Pennes-Mirabeau » ou de l’« A7, Autoroute du Soleil » que du Vieux-Port ou de la Bonne Mère. Les contextes sont travaillés, pétris des spécificités micro et macro des actualités et des différents environnements, perçus à leurs différentes échelles, rendus à différents niveaux de compréhensions, et de sensations. Pour la plupart de ces artistes nouvellement breveté·es, la suite se verrait bien locale, à Marseille. Après la fermeture de Buropolis et à l’heure presque arrivée de sonner le glas des 8 Pillards, la question des espaces d’atelier se fait encore une fois tremblante. En un très bon écho à cette question concernant la distribution territoriale des économies de l’art à Marseille, le deuxième volet de l’exposition Murmurations, organisé par Fraeme, se tient au troisième étage. Le premier volet avait accueilli cet été quatorze lieux indépendants où se tiennent beaucoup des expositions qui animent Marseille. Ce second volet, plutôt consacré aux ateliers partagés et aux collectifs d’artistes, permet une efficace et assez globale (mais pas exhaustive) vision d’ensemble des organisations d’espaces artistiques — 16b éditions, Atelier Vé, la Fam, Fuite, Panthera… —, autonomes par choix ou par nécessité, ainsi qu’une critique assez sarcastique de l’économie et de l’institutionnalisation des arts. L’atelier À Plomb’ y a par exemple récupéré des matériaux après le démontage d’Art-O-Rama pour construire un arrêt de bus, espace d’attente dont l’affichage publicitaire et la piste audio à écouter promeuvent en fait une autre exposition, aux 8 Pillards, où ils résident. Les espaces leur ayant été confiés en carte blanche, la scénographie pensée par chaque atelier propose un parcours très fluide, où les œuvres communiquent et se répondent, saisissant parfois, on l’aura compris, avec une ironie toute naturelle, leur séjour sur ces cimaises comme une oblitération bien paradoxale.  

Margot Dewavrin

 

Habitacles, exposition des diplômé·es 2022 art & design / Murmurations, volet 2 : jusqu’au 16/10 à la Friche Belle de Mai (41 rue Jobin, 3e).

Rens. : www.lafriche.org