Continuer sans accepter

Installations et œuvres contemporaines d'Antoine Boute, Stéphane De Groef, Jean-Baptise Ganne, Adrien Herda, Roberte La Rousse (Cécile Babiole et Anne Laforêt), Yann Leguay, Ash Perier et Špela Petric. Prog. : Lab Gamerz, dans le cadre de la Biennale Une 5eSaison

Dans le cadre de la Saison d’Automne de la Biennale Une 5e Saison, Lab GAMERZ présente l’exposition collective Continuer sans accepter dans l’espace de la chapelle désacralisée de la rue Venel, site historique du centre-ville d’Aix-en-Provence. Le passé religieux privé du lieu, reconverti en imprimerie municipale, se mêle à ses fonctions actuelles de dépouillement des votes électoraux pour alimenter le caractère littéraire et manifeste de l’exposition. S’y rejoignent différentes formes de luttes subtiles et gestes subversifs : livres-boucliers, dictionnaire à la féminine, manuel d’instruction futuriste et hardcore, archives botaniques d’un crash boursier, prophétie électrique au discours chaotique, lecture spéculative d’un végétal…

 

Continuer sans accepter réfère à cette option qui nous est proposée quotidiennement sur internet contre l’injonction existentielle de « tout accepter ». Elle résume significativement nos minces possibilités d’alternatives dans un univers technologique et médiatique en proie au profilage intrusif, au ciblage mercantile et à la surveillance. Comment renouer avec les enjeux d’émancipation, d’expérimentation, de partage de connaissances et de savoirs, que promettait l’avènement du réseau ?

 

Cette question anime l’ensemble des œuvres réunies dans cette exposition comme autant d’invitations à s’engager dans une recherche de futurs plus désirables pour notre monde.
Continuer sans accepter place la réappropriation du langage au centre des luttes, à l’endroit-même des changements sociétaux qui sont à l’origine de nouvelles relations à l’autre et aux savoirs. Les œuvres réunies utilisent le langage et ses mots comme différentes portes d’entrée vers l’altérité : l’internet, le végétal, le genre, l’économie, l’utopie sont autant d’entités avec lesquelles (se) débattre.

 

Ainsi procède Roberte la Rousse, pirate à deux têtes – Cécile Babiole et Anne la Forêt – dont le nom est d’abord emprunté à l’illustre dictionnaire puis féminisé pour mieux soutenir l’abolition «du genre dans la langue» et questionner la binarité du langage. Wikifemia prend la forme d’une visite de l’exposition et d’une revisite de l’encyclopédie Wikipedia, commentées en française et offrant un point de vue perspectiviste, historique et politique sur la représentation masculinisée des connaissances et des savoirs.

 

Stéphane de Groef, Adrien Herda et Antoine Boute rejoint par Ash Perier, à travers leur Manuel de Civilité Biohardcore (Noyau dur de la vie), nous proposent un tutoriel pour survivre au mieux (et avec humour) au nouveau paradigme mondial post-capitalocène. Leur vision futuriste sans compromis mêlant poésie incrédule, survivalisme et relations inter-espèces inattendues est condensée dans trente-six planches originales formant des dialogues sérendipiens entre humains, animaux, concepts capitalistes et utopie écologiste.
Avec Reading Lips, la bio-artiste slovène Špela Petric recréée une expérience de communion entre l’humaine et la plante, par un procédé de lecture sur les “lèvres” de ses stomates grossies au microscope. Cette lecture anthropomorphique d’une réalité, d’un cosmos tout entièrement « autre », peut dénoncer une vision colonialiste humaine du règne végétal, tout en encourageant l’intuition géniale de la scientifique et l’effort de communication entre deux mondes, étrangers quoique intrinsèquement unis.

 

Jean-Baptiste Ganne présente quant à lui un chemin de croix retraçant l’historique crise financière tulipomaniaque du 17e siècle. Windhandel est une série de dessins de différents bulbes et tulipes, objets en leur temps de folles spéculations capitalistes et dont la valeur s’est effondrée subitement. Ces espèces sont ici directement menacées au sens littéral du terme par la présence d’armes policières et émeutières issues de la crise grecque de 2008. Cet herbier combattant, entre archive botanique et archéologie de la crise, rejoint, par son esthétique contestataire, la série de sculptures Book block du même auteur. S’inspirant des occupations étudiantes dans les universités italiennes faisant face aux forces policières, l’artiste marseillais s’est constitué une bibliothèque de boucliers improvisés aux effigies de couvertures de livres « protecteurs ». Les titres de recueils et leurs auteurs forment une barrière puissante de ressources poétiques, philosophiques et politiques.

 

Enfin, l’œuvre Volta propose, par une exploration introspective du réseau et du signal, un face-à-face de deux micros entre lesquels des impulsions pures se déchaînent donnant voix à un oracle électrique tourmenté. En soumettant le bruit d’internet à l’analyse d’un logiciel de reconnaissance vocale, une forme de digression verbale émerge en une suite de mots erratiques, une poésie bégayante et hésitante cherchant à qualifier la fonction et la nature de sa propre condition électrique. À travers ce dispositif de boucle systémique, Yann Leguay nous invite à confronter nos croyances face à la matérialité des modèles technologiques en exposant les fondements même de nos systèmes de communication. Il nous rappelle avec radicalité la formule de Marshall Mc Luhan : « The medium is the message » 1 ou « Le message, c’est le médium ».

 

Spéculations poétiques autour du devenir humain, intuitions d’avenir aux relations poreuses, l’exposition vous invite, par quelque moyen que ce soit, à explorer différents protocoles de communication comme autant de stratégies mises en œuvre pour libérer la parole et la pensée.

 

 

1 (du livre Understanding Media: The extensions of man ( Pour comprendre les médias), publié en 1964 et traduit en français en 1968)


Chapelle Venel
Jusqu'au 16/10. Mer & sam 10h-12h30 & 15h-19h + jeu-ven & dim 15h-19h
Entrée libre
www.lab-gamerz.com
27 rue Venel
13100 Aix-en-Provence

Article paru le mercredi 28 septembre 2022 dans Ventilo n° 469

Continuer sans accepter par le Lab Gamerz

Nos futurs

 

Comme il est difficile de refuser mordicus tous ces cookies inlassablement proposés par nos environnements numériques, il est aussi des artistes pour remettre en question un milieu qui, insidieusement, nous cuisine, nous pétrit, nous modèle. Continuer sans accepter, tel est le credo de la nouvelle expo organisée par le Lab Gamerz, dans une petite chapelle du centre-ville d’Aix-en-Provence.

  Au lieu de se retrouver touché·e·s par la grâce d’une certaine chrétienté vétuste, nous voilà plutôt l’esprit dépoussiéré par les consciences — pour certaines, désabusées, pour d’autres, galvanisées — de nos avenirs. Avec les planches originales du Manuel de Civilité Biohardcore (de la BD d’Antoine Boute, Stéphane De Groef et Adrien Herda) qui feutrent la nef d’un cynisme absurde et bien piquant, à coups de couleurs pétantes et de lestes formules infinitives. Le monde y est raillé en jaune soleil, rose saumon, nuances de vert et de rictus, pour fournir une didactique plutôt bien jubilatoire, et loin d'être civile. De l’autre côté de la pièce, on trouve les dessins de Jean-Baptiste Ganne, des traits de crayon noir sur fonds blancs, transférés et intégrés aux boiseries murales. Cette série, Windhandel, remonte l’histoire capitaliste à la naissance de la première crise spéculative européenne, la « tulipomanie » du XVIIe siècle, pour figurer des tulipes à taille humaine, aux bulbes desquelles personnages masqués, matraqués, cagoulés façon black block, ou casqués façon CRS sont mis aux prises. Pour compléter l’atmosphère de protestation qui fait du langage son Graal dans cette chapelle ­— récupérée par la municipalité, devenue imprimerie et désormais utile aux dépouillements électoraux —, l’installation Book Block fait aussi son petit effet, boucliers éclatants de littératures, fictions ou manifestes. Enfin, c’est évidemment dans le chœur que se trouve Reading Lips, la vidéo de Špela Petrič inspirée par une étude de la (potentielle) « langue » des stomates, ces espèces de minuscules bouches qui babillent sur les feuilles des ficus, dont le lyrisme végétal reste muet mais qui pourrait bien être significatif, si seulement on lisait sur leurs « lèvres »... Et pour nous sortir régulièrement (et brutalement) de ces étonnantes méditations dans lesquelles ces œuvres nous envoient, la technologie sculpturale Volta de Yann Leguay, produit de résidence avec le collectif ∏-Node (qui exposait il y a quelques mois à Art-cade, à Marseille), vient autant électrifier nos regards que nous ouïes, à la manière qu’ont les orages de nous fasciner autant que de nous intimider. Continuer sans accepter parle aux futur(e)s équivoques avec des œuvres transcendantes, qui se rappellent de ce qu’il faut tout en ironisant où il faut.  

Margot Dewavrin

 

Continuer sans accepter : jusqu’au 16/10 à la Chapelle Venel (27 rue Venel, Aix-en-Provence).

Rens. : www.lab-gamerz.com