Les Musées de Marseille célèbrent la réouverture du [mac] par une invitation à l’artiste italienne Paola Pivi, bien connue du public marseillais depuis le projet 25,000 Covid Jokes (It's not a joke), installation monumentale présentée dans la Chapelle du Centre de la Vieille Charité en 2020 et aujourd’hui considérée comme un jalon majeur de l’histoire du care. L’une des personnalités les plus importantes sur la scène artistique contemporaine à l’international, l’artiste investit aujourd’hui le hall et les trois premières travées du musée avec It’s not my job, it’s your job / Ce n’est pas mon travail, c’est votre travail, une exposition événement constituée de certaines de ses créations iconiques et d’une œuvre inédite, Free Land Scape, produite spécifiquement à cette occasion.
Adresse joyeuse et délicate aux visiteurs du musée, perceptible depuis l’extérieur, des roues de bicyclette couronnées de plumes sont installées dans le nouveau hall d’entrée du [mac], comme pour révéler tout le potentiel de cet espace rénové désormais dédié aux projets monumentaux.Bigger than my eyes (2016), It was my choice (2017), I don’t have a name (2016),Very nice ride (2016), Red means stop, actually(2016) : les titres donnés à chacune d’entre elles apparaissent comme des réflexions qui semblent les personnifier, écho probable aux pensées intimes de Paola Pivi elle-même. Leur mouvement perpétuel, à l’image du flux quotidien de nos idées, déstabilise la perception des espaces du musée, à la fois familiers et profondément transformés au gré de leur rénovation.
Free Land Scape (2023), imaginée pour l’espace architectural du [mac], prolonge cette étonnante redécouverte. Première œuvre visible dans les nouveaux espaces du musée, entre installation et sculpture, elle prend la forme d’un parcours en forme de passerelle suspendue réalisée en toile de « jean » que le visiteur est invité à parcourir individuellement. La vulnérabilité de la membrane porteuse, le défi qu’elle pose à l’équilibre, l’incertitude du déplacement, la désorientation, l’immersion dans le bleu du Denim sont autant de sensations surprenantes qui renvoient à ce qu’expérimente un enfant lorsqu’il pose pour la première fois le pied sur une barque. La disparition de la certitude de l’appui terrestre au profit de l’instabilité d’un canot évoque, comme une métaphore, l’expérience que chacun d’entre nous fait de la création artistique : véritable alerte sensorielle, elle dessine de nouveaux horizons et invite à revenir sur nos certitudes.
Paola Pivi n’a pas choisi la toile Denim par hasard. Son nom résulte d’une circulation en forme de va-et-vient entre l’Europe et les États-Unis. En effet, la toile des solides pantalons de travail - les « jeans » que nous connaissons sous ce nom en provenance des USA - fut d’abord désignée sous le termes de « bleu de Nîmes ». Devenue toile « Denim » au moment de son appropriation américaine dans les années 1950 elle apparaît comme le symbole du lien entre l’espace méditerranéen et le monde. Echo aux innombrables échanges culturels et à la diversité des langues sur le territoire marseillais, ce choix évoque habilement les échanges du commerce globalisé, dont le jean est une icône internationale, pour désigner aussi le monde ultra-connecté dans lequel nous cheminons. Il ancre discrètement ce projet inédit de Paola Pivi dans son contexte de production et de présentation aux publics. Les mouvements diffus du Denim au cœur deFree Land Scape, de même que sa couleur, participent de cet ancrage en remémorant habilement l’élément maritime, le flux et le reflux des vagues.
E (2001) évoque quant à elle l’élément aérien. Structure au format cylindrique et vertical, composée de plusieurs colonnes d’aiguilles suspendues à des filins, cette œuvre fonctionne sur le mode de l’interaction avec son espace d’exposition et les visiteurs qui l’observent. Les aiguilles qui la composent répondent en effet aux présences qui les approchent en s’animant d’une vibration délicate et ambiguë, aussi agressive visuellement qu’inoffensive dans son mouvement. Suggérant un au-delà de l’espace tangible de l’œuvre en présence de laquelle nous évoluons, E paraît ainsi retracer le souffle des vents, leur direction et leur force, sur les cartes de météo marine. Son fonctionnement distille la sensation d’une présence mystérieuse et poétique dans le musée.
D’autres œuvres choisies par Paola Pivi pour Marseille évoquent tantôt l’air ou la mer, tantôt le règne animal, dans un très large spectre d’espèces alliant mammifères, invertébrés ou oiseaux. Deux œuvres respectivement intitulées Take me home et Finally I got a home (2006) sont ainsi constituées de segments du tronc d’un arbre échoué sur la rive du lac Malawi en Afrique, inscrit au patrimoine mondial de l’UNESCO pour la richesse exceptionnelle de sa faune aquatique. Sur ces deux troncs, l’artiste a fixé des coquillages glanés en Alaska, des luminaires bon marché rassemblés en Chine et des répliques miniatures des sièges de designers célèbres de la collection du Vitra museum of design en Suisse. Renouvelant la tradition du collage dans l’art dans une perspective « high and low » d’un monde globalisé voué à la dérive comme les troncs eux-mêmes, ces deux œuvres interrogent le lien entre création naturelle, production manufacturée et invention artistique.
D’autres coquillages sont constitutifs de deux œuvres intitulées Call me anything you want (2013). Accumulation de lignes de perles, ces tableaux déclinent un nuancier de couleurs allant de l’ivoire au noir dont les déclinaisons de teintes célèbrent les différentes couleurs de la peau. Pour les réaliser, Pivi s’est approprié le résultat du « travail » d’une multitude d’huîtres. Elle s’est également saisie de la similitude entre le travail par touches d’un peintre sur une toile et l’action d’une huître qui dépose couche après couche la nacre sur la perle. Créant de subtiles propositions d’équivalences, la proposition de l’artiste résonne comme une bravade que soutient également le titre Call me anything you want II, à la forte tonalité féministe.
Point d’achèvement du parcours de l’exposition, invitant le visiteur à redécouvrir les collections permanentes du [mac], les célèbres ours de Paola Pivi déploient leurs couleurs chatoyantes. Œuvres iconiques de l’artiste, dont le pelage de plumes fait écho aux roues de bicyclettes présentées dans le hall du musée, ils déploient un anthropomorphisme attachant. Leurs positions choisies avec une infinie précision alternent danse, cirque ou yoga, dans des expressions de joie juvénile contrastant volontairement avec ce que l’on sait du devenir des ours polaires désormais à la dérive dans la débâcle du continent blanc. Les titres attribués à chacun des ours de Paola Pivi suggèrent ainsi une forme de mélancolie en leur conférant aussi une dimension autobiographique : I and I (must stand for the art) (2014), I never danced before (2013), That’s a good question(2020) ouI did it again(2018).
L’expositionIt’s not my job, it’s your job / Ce n'est pas mon travail, c'est votre travail renoue avec l’ambitieuse programmation du [mac] depuis sa création, au contact des personnalités parmi les plus remarquables de l’art contemporaine et notamment incarnée par les projetsTime Capsules de Warhol (2015), Hip Hop un âge d’or(2017), Sophie Calle. 5 (2019) et jusqu’à Erwin Wurm (2019) présentés hors-les-murs, grâce la complicité amicale de l’ensemble du réseau des Musées de Marseille et plus particulièrement du musée des Beaux-Arts, du musée Cantini, du muséum d’Histoire naturelle, du musée Grobet-Labadié et du Centre de la Vieille Charité. Avec ce nouveau projet, et à l’occasion heureuse de sa réouverture, le [mac] souhaite offrir au public un condensé de plaisir visuel, expérimental, physique et spirituel qui ne renie en rien les préoccupations de l’époque. Offrande fertile pour l’esprit en éveil de celles et ceux qui décident de ne pas être immobiles face à la catastrophe annoncée, cette exposition rend manifeste le choix du [mac] et de l’ensemble des Musées de Marseille de prendre leur part dans un engagement indéniablement nécessaire aujourd’hui.
Note : Les titres des œuvres de Pivi ont été créés Karma Culture Brothers.
> Visites commentées de l'exposition et des collections les mercredis et samedis à 15h. Dès 12 ans. (1,50/3 €)
> Visites thématiques de l'exposition et des collections les samedis à 11h. Dès 10 ans. (0/1,50/3 €)
Physique, mental ou fantasmé, le paysage est souvent questionné par les artistes. Parmi les œuvres exposées au [mac], nous aborderons le paysage sous forme de peinture, performance, sculpture, dans tous ses états ou presque…
> Visites en famille de l'exposition et des collections les mercredis et samedis à 14h. Dès 6 ans. (0/1,50/4 €)
MD