Hans Zeeldieb - Traversée

Photos. Voir couverture Ventilo # 488

Hans Zeeldieb nous embarque pour une traversée au départ du port de Marseille. Ses portraits à la chambre documentent les migrations estivales vers le Maghreb.

 

"Je voudrais partir comme un bateau qui se détache du quai, mais ces choses-là n'arrivent qu'aux bateaux." Brigitte Fontaine

 

Le 17 mars 2020, l’épidémie de Covid-19 a stoppé les liaisons maritimes entre la France et l’Algérie, coupant brutalement les liens pour de nombreuses familles vivant de part et d’autre de la Méditerranée. 
Pendant dix-sept mois, ces français et françaises issus de l’immigration algérienne sont restés bloqués d’un coté ou de l’autre de la méditerranée, sans pouvoir voire leurs familles. Des couples séparés, des morts non célébrés.
Depuis le 1er juin 2021, on peut de nouveau se rendre en Algérie. Le trafic a repris peu à peu, à raison d’une traversée par semaine.
Je veux les portraits de ces passagers qui rentrent enfin au pays, et des marins qui les y emmènent.

 

Addendum

"Je n’ai jamais réussi à avoir les autorisations pour faire des prises de vue sur les ferries reliant Marseille à Alger. Ces autorisations étaient nécessaires pour réaliser mon travail documentaire, car il est difficile d’être discret quand on prend des photos avec une chambre du XIXe siècle. Aucune des deux compagnies (Corsica Linea et Algerie Ferrie) n’ont voulu me laisser monter à bord. J’aurais peut-être pu y arriver en mentant sur mes intentions, j’ai compris a posteriori que c’est comme ça que l'on procède lorsqu’on est journaliste. Les images que vous voyez ont été prises au port de Marseille, lors de l’embarquement des ferries à destination de l’Algérie, du Maroc et de la Tunisie, ainsi qu’à bord du Girolata, navire reliant Marseille à Tanger (Maroc)."
— Hans Zeeldieb

 

Valentin Giraldi alias Hans Zeeldieb est né en 1989 et a grandi à Nevers (58).

À 18 ans il s’installe à Paris où il commence des études d’histoire, puis de cinéma, à l’Université de Saint-Denis.

En parallèle, il apprend la photographie argentique de manière autodidacte. Il arrête rapidement ses études pour se consacrer à la photographie, et devient « minutero » sur la place de Beaubourg. Pendant une dizaine d’années, il gagne sa vie en tirant le portrait des passants à la chambre, développant ses photos directement sur place grâce à un laboratoire ambulant.

En 2014 il part en Bretagne où il apprend la navigation, puis s’embarque dans un voyage au long cours qui durera deux ans, dont sera tiré un livre, 2MISSISSIPPI aux éditions Le Mulet (2019).

Il habite aujourd’hui à Marseille et continue à utiliser exclusivement le même appareil, une chambre de la fin du XIXe, pour réaliser ses projets documentaires.


Atelier Virage
Du 24/11 au 5/12 - Tlj (sf sam) 16h-20h
Entrée libre
http://www.photo-marseille.com/
17 rue Flégier
13001 Marseille

Article paru le mercredi 11 octobre 2023 dans Ventilo n° 488

Festival Photo Marseille

Points de vue, images du monde

 

Treizième édition, vingt-deux lieux, plus de cent photographes qui gagnent en visibilité, plus de quarante événements (expos, rencontres, projections, masterclasses... ), tout ou presque en accès libre, avec une « volonté d’investir l’espace urbain » pour être accessible au plus grand nombre et « démocratiser l’accès à la photo »… L’édition 2023 du Festival Photo Marseille : pari gagné pour Christophe Asso qui porte l’évènement depuis le début.

      Chaque année, ce sont davantage de lieux qui s’intègrent au festival, lui donnant ainsi plus d’ampleur et de résonance. Quadriller la ville dans une multiplicité d’espaces permet non seulement de toucher plus de gens mais aussi des publics différents. Des galeries dédiées, des espaces collectifs (comme l’atelier Seruse, où le travail participatif mêle des photographes amateurs et professionnels), des tiers-lieux (comme les ateliers Jeanne Barret où l’expo de Julien Oppenheim, VillageVille, pose la question du vivre ensemble), des bâtiments publics (comme l’hôpital de la Timone où les visiteurs se mêlent aux soignants et aux usagers), jusqu’aux parcs Longchamp, Font Obscure ou François Billoux, où les expos s’offrent aux regards de tous, sans qu’il soit nécessaire d’oser pousser une porte… Attirer le plus grand nombre se fait aussi par le choix de la programmation. Un focus est mis cette année sur le photojournalisme. Dans un monde où l’info est de plus en plus superficielle et fragmentée, où les drames sociaux, culturels ou écologiques s’amoncellent, quand ils ne disparaissent pas sous des nombres ou des courbes, nous avons besoin plus que jamais de témoignages, de vécus et d’images au plus près de la réalité. Des travaux souvent au long cours qui vont au-delà du simple reportage, dans lequel des photographes auteurs s’engagent, ce qui n’exclut pas des choix artistiques ou esthétiques, même sur des sujets parfois douloureux ou compliqués. Continent Sicile, de Franco Zecchin (à Maupetit, côté Galerie), c’est par exemple dix-huit années de travail à Palerme au plus près de l’actualité quotidienne, un regard humaniste qui traverse toutes les couches sociales, et de splendides tirages noirs et blancs pour illustrer un continent qui est, selon l’auteur « moins une dénomination géographique qu’une dimension mentale ». Pour Animas, il a fallu plusieurs années à Andrea Graziosi pour comprendre et s’approprier les codes d’étranges mascarades en Sardaigne (à voir dans les salons et jardins de Maison Blanche). Pratiqués par les habitants, ces anciens cultes rituels portent « une valeur mystique, spirituelle et sacrée, dans un but cathartique et libératoire ». Et comment ne pas se sentir concerné par la disparition de l’eau ? C’est au centre du travail de Mouna Saboni dans Disappearance (aussi à Maison Blanche), réalisé le long du mythique fleuve Jourdain, désormais réduit à une rivière polluée que l’on peut traverser en quelques enjambées… Beaucoup d’autres propositions tout aussi intéressantes sont à découvrir. Mais le premier temps fort du festival est une expo collective sur l’Esplanade Bargemon, intitulée Traversées. Issue de la Grande Commande de Photojournalisme Radioscopie de la France : regards sur un pays traversé par la crise sanitaire, elle est voulue par le ministère de la Culture et pilotée par la BNF, et se retrouve ici en partenariat avec Picto Méditerranée. Et c’est un angle particulier qu’abordent dix photographes, choisis parmi les deux cents lauréats. Alors que nos politiques s’étrillent sur les questions migratoires, le pape est venu jusqu’à Marseille exhorter chacun à faire une place à celles et ceux qui fuient bien souvent malgré eux. Entre la panique des uns et la générosité des autres, il y a l’humanité. Et ce sont des histoires de vies, des traversées maritimes et terrestres, qui sont racontées par ces dix photographes engagés et talentueux. De la Méditerranée à la Manche, des Alpes aux Pyrénées, mais dans les villes aussi, avec Des aidants au pays des Droits de l’Homme, Michael Bunel se glisse au plus près de femmes et d’hommes qui s’engagent, malgré les obstacles et la complexité de l’après Covid. Le Beau Geste, clame Grégoire Eloy. Il accompagne ces militants qui, chaque nuit, dans le Briançonnais et la vallée de la Roya, secourent sans relâche malgré les interpellations quotidiennes. Les migrations sont rendues plus encore difficiles pour les femmes qui fuient des agressions ou un mariage forcé. Avec Femmes d’ailleurs, ici. Exils au féminin, Aimée Thirion, investie sur des projets au long cours (Syrie, Palestine, Liban, mais aussi Algérie ou France) nous dévoile le parcours de femmes exilées. Hospitalités est un mot qui a du sens pour Sinawi Medine, photographe érythréen installé en France depuis 2009 pour des raisons politiques et dont la série porte sur l’accueil en région PACA. Sens aussi pour ces Patrons solidaires qui défendent leurs apprentis, mis à l’honneur par Nathalie Bardou, qui documente depuis des années le quotidien de personnes exilées. Qui sommes-nous et de qui avons-nous peur ? Frontière France d’Antoine d’Agata nous rappelle le métissage de la France d’outre-mer. C’est par des images mais aussi des mots ou des dessins qu’Anita Pouchard Serra compose Algérie(s) une mosaïque d’héritiers. Identité et mémoire sont au cœur du travail de Patrick Zachmann, lorsqu’il retrouve, trente ans après les avoir rencontrés, Les Maliens d’Evry, et leurs enfants, première génération née en France. Abdulmonam Eassa, originaire de Syrie, invite à poser, pour ses Portraits de nouveaux Français, ceux qui rêvent de « faire partie enfin de la France » et qui ont choisi de devenir citoyens français. Et enfin, ce sont des passagers au départ de Marseille « rentrant enfin au pays » après l’épidémie de Covid, et des marins qui les y emmènent, que Hans Zeeldieb a choisi d’immortaliser (voir notre couverture). Migration estivale ou retour au pays natal, la Traversée se fait cette fois en toute liberté. Total respect envers ces dix photographes, passeurs au bon sens du terme. En partageant avec nous ces histoires, terrifiantes ou fraternelles, ces parcours, ces combats, ces réflexions aussi, ils nous enrichissent forcément et peut-être aideront-ils certains à délaisser leurs peurs.  

Aline Memmi

 

Festival Photo Marseille, du 12/10 au 24/12 à Marseille. Rens. : www.laphotographie-marseille.com

Toute la programmation du Festival Photo Marseille ici