Aka Zidane de Michaël Zumstein à Maupetit, côté Galerie
Sacré footoir
Partout des maillots de foot, sur les images et en vrai sur les murs. Une énième expo sur le sport, Jeux Olympiques obligent ? Non, un tacle, un uppercut, grâce à quelques phrases bien choisies. Messi ramasse les ordures. Ronaldo fait la guerre. Zidane n’arrive plus à nourrir sa famille. Et quelles que soient ses tâches, Diego Costa, elle, porte son bébé sur son dos.
Du Mali au Niger, du Sénégal à la Côte d’Ivoire, Michaël Zumstein parcourt depuis plus de vingt ans le continent africain en tant que photojournaliste ; il a couvert des élections et des prises de pouvoir, des conflits, des crises… Son travail documentaire
De terreur et de larmes, sur la crise en République centrafricaine, sera exposé en 2014 au festival Visa pour l’Image.
Et c’est sur l’une de ses photos, prise en plein conflit armé, qui fait la une du quotidien
Le Monde et de nombreux autres journaux, qu’il découvre lui-même soudain le magnifique maillot rouge que porte l’un des jeunes combattants (avec au dos le nom de l’attaquant espagnol Fernando Torres)… « Qu’est-ce que c’est que ce maillot de foot au milieu de la guerre ? », se demande-t-il.
Il fouille dans ses archives, retourne sur le terrain et ne voit plus que ça ! Dans la vie quotidienne, au travail, à l’école, dans les lieux de prière, des hommes jeunes pour la plupart, mais aussi des femmes, endossent le maillot d’un footballeur star. Arborant fièrement ses couleurs, son nom, son numéro, ils se glissent dans la peau d’un autre.
Alors qu’ils sont plongés dans des contextes de violence, de pauvreté extrême, qu’ils vivent dans un environnement dégradé, ce costume pourrait sembler dérisoire. Il leur donne fierté. Sous ce nom d’emprunt qu’ils utilisent eux-mêmes — «
Eh Ronaldinho, tu as des cigarettes aujourd’hui ? » —, à leur tour ils deviennent des héros.
Et nous, visiteurs bien au chaud, parfois blasés par tant d’images de guerre ou de misère, on reçoit en pleine face ce contraste criant entre des stars du foot aux poches pleines à craquer et ces gens qui se battent au jour le jour pour leur survie et celle de leur famille.
Michaël Zumstein est un grand photographe. Ses images aux couleurs chaudes rehaussées par des cadres bruns sont particulièrement belles ; il sait parfaitement jouer avec la lumière, choisir ses cadrages… Mais en utilisant ce procédé narratif, plutôt que des légendes journalistiques classiques, il rend ses images plus percutantes encore et le propos gagne en ampleur.
Par ce simple jeu de confusion, le photographe bouscule nos représentations. Pas de leçon de morale, juste un témoignage. Montrer en racontant l’histoire autrement. Pour accrocher notre regard sur d’autres vies que les nôtres, sur cette partie du monde, sur les liens entre l’Afrique et l’Occident, sur des inégalités tellement criantes.
Ici, les maillots sèchent sur l’herbe. On prie, on fait la guerre. Là, on bosse tout son saoul et on tente de survivre, un maillot de star sur le dos.
Toute sa jeunesse, Michaël Zumstein a été passionné de foot. Et à dix ans, lorsqu’on lui a offert son premier maillot, un maillot écossais sans nom ni numéro, il a trouvé la photo d’un joueur méconnu dans un album et en a fait son idole. Depuis, il s’interroge : qui sont les vrais héros ?
Aline Memmi
Aka Zidane de Michaël Zumstein : jusqu’au 30/03 à Maupetit, côté Galerie (142 La Canebière, 1er).