La donnée première, fondamentale et irréductible dans la démarche de Moussa Sarr est liée à la couleur de la peau.
Cette couleur qui fonde l’identité, se donne au regard comme différence et construit le rapport à l’autre, à l’altérité, à l’étranger.
Les artistes dans l’histoire de la représentation ont cherché à atteindre le réalisme de la chair, l’Incarnato. Cette recherche se transpose aujourd’hui en un répertoire exhaustif des nuances de couleur pour revendiquer l’équité entre tous les individus.
Moussa ne choisit pas la forme du nuancier, avec Bamboula il énonce sans détour la question du racisme qui résonne particulièrement avec l’actualité et plus singulièrement encore avec le contexte de cette exposition. Ce terme, qui désigne à l’origine un tambour africain ou des danses dans certains pays d’Afrique de l’Ouest, a été détourné en une insulte raciste, interdite d’usage par la loi, qui fait ressurgir tout le passé colonialiste. Et, avec lui, un cortège de formules et d’images qui continuent d’imprégner notre inconscient collectif.
Cette exposition au titre provocateur permet à l’artiste de faire entendre sa voix, alors que, dans un climat électoral inquiétant, donner sa voix pourrait rendre paradoxalement muet. Comme le souligne Dominique Rousseau dans Les Contestations (édition Belopolie, 2024), le citoyen est réduit au silence en élisant ses représentants, il doit les laisser parler pour fabriquer les lois et les politiques publiques en son nom.
En convoquant les postulats du langage, du corps et de la performance, Moussa Sarr aborde la question de l’identité et de l’entre-soi. A travers ces performances, il invite et interpelle les visiteurs, tel un spectacle auquel ils prendraient part, cherchant à brouiller les frontières avec le théâtre.
L’artiste corse, d’origine sénégalaise, propose ainsi un projet d’œuvres hybrides qui revendiquent la diversité et le multiculturalisme comme un écho à son histoire. Dès l’abord de l’exposition avec Liberta (2009), brandie comme un étendard, cet autoportrait de l’artiste rejouant la tête de maure dans le drapeau corse, fait figure de déclaration d’intention.
Avec La Storia, Moussa propose ensuite d’entrer dans la danse avec une performance dans laquelle il interprète la Marseillaise, traduite en corse et égrenée sur des rythmes africains. L’artiste renoue ainsi avec son identité et se heurte au nationalisme de l’île de beauté qui ne se revendique pas dans cet hymne mais dans la reine, un chant typique de l’identité insulaire.
C’est le corps dans cette performance qui traduit la violence du rejet, qui lui vaut notamment des cris de singe lors de chacun de ses déplacements.
À ces agressions répétées, L’Orgasme du singe, vidéo réalisée en 2007 et présentée dans l’exposition, s’envisage alors comme une première réponse. Cette pièce est à replacer dans le corpus des vidéos qui renvoient à son bestiaire personnel, la mouche, la souris, le singe … Autant de postures qui filent la métaphore du langage animal. Dans cette autre performance in progress 3 le corps encore, ou s’origine la différence, bouclier et lieu de la résistance. Il est mis une nouvelle fois à l’épreuve, harnaché et soutenu par un ensemble de liens, comme un animal pris au piège dans un filet. Ce corps zooifié , emprisonné par un ensemble de lianes duquel il arrive à s’extraire à force de circonvolutions, renvoie à l’image de la descente de croix.
Moussa Sarr enrichit constamment son corpus de vidéos et de performances par l’exploration de médiums aussi variés que la photographie ou la peinture. Aux côtés d’une série de performances, l’artiste présentera différentes traces des représentations passées, sous formes de vidéos et de photos, et d’autres œuvres produites pour l’exposition.
L’exposition s’envisage ainsi comme quelque chose de mouvant, autour de la question du corps et de la parole, qui serait complétée par des écrits. Élaborant seul ses mises en scène face à un miroir, Moussa Sarr crée des autoportraits renvoyant au statut de l’artiste, à ses questionnements — notamment celui de l’économie de l’artiste et de sa production – mais également à une forme d’introspection commune à chaque être.
Texte & commissariat : Martine Robin
Mona Lobert