Marseille, hasards révélés à l'Atelier Rafale
L’un est photographe, l’autre non, mais tous deux aiment les livres, les images et les mots. D’où le nom de Photo#graphie (photodièsegraphie), l’association qu’ils ont créée en 2017. Aline Memmi et Jean-Benoît Zimmermann ont monté des expos, partagé des coups de cœur, publié bénévolement des livres (vingt-cinq en sept ans) avec des photographes qui les ont marqués ou émus. Du temps offert, de l’énergie à revendre, de la passion et toujours une envie de partage. Le livre collectif Marseille, Hasards révélés sera leur dernière publication. Ils en ont tiré une exposition éponyme, et une occasion de les rencontrer !
Marseille est à la mode. Marseille fait la une... Mais les poncifs ont la vie dure ! Alors, Aline et Jean-Benoît ont choisi, avec les plus marseillais de leurs auteurs et quelques autres photographes, de faire un pas de côté. De nous surprendre par les hasards de cette ville singulière. Un autre angle ? Un autre bout du décor ? La vie, quoi ! Avec ses aspects insolites, drôles, étranges, inattendus, douloureux ou poétiques… Et voilà Marseille, nous disent-ils. Avec le bleu du ciel mais aussi la pluie, la brume ou le clair-obscur. La culture foot mais pas comme on l’imagine. Un abribus qui devient kiosque à musique lorsque « La voie est libre ». La mer qui s’invente de nouveaux horizons. Des gabians, mais aussi des fauves de pacotille et un chat aux yeux fluo en vigie au-dessus de la ville. Des bâtisses millénaires mais d’autres qui s’écroulent. Des amitiés, des solitudes, mais aussi l’émotion qui rassemble…
Au final, ce sont vingt-six regards hors des clichés, des images en noir et blanc et en couleurs, publiés dans
Marseille, hasards révélés, le dernier d’une petite collection au format poche qui compte à présent seize titres. Un livre collectif donc, qui plus est réalisé collectivement, par un comité de douze adhérents. Qui a eu cette idée folle ? Il a fallu apprendre en marchant, s’accorder sur un thème, choisir un angle, sélectionner parmi les images reçues, toutes « anonymisées » («
Ce fut le plus difficile, explique Aline,
argumenter, convaincre, défendre certains choix et accepter in fine de ne pas être suivi ») ; et puis construire, scénographier, et toujours échanger. Ce fut vif, foutraque, drôle, riche, frustrant par moments, épuisant aussi… à l’image de Marseille, en quelque sorte.
Qui sont les adhérents de Photo#graphie ? En partie des auteurs publiés par l’association, mais aussi des sympathisants, qui aiment à la fois la photo et les rencontres, des professionnels et des amateurs. Des amis qui soutiennent l’aventure et d’autres qui ont découvert l’association ici ou là. Car Photo#graphie est une association loi 1901. «
Notre idée au départ, précise Jean-Benoît,
était de mutualiser, avec d’autres photographes ou d’autres passionnés de photographie, un certain nombre de moyens ou de ressources : savoir-faire concernant la fabrication d’un livre mais aussi recherche de lieux d’expos et tout ce qui peut permettre aux photographes de montrer et diffuser leurs œuvres. »
De coups de cœur en rencontres, les projets se sont succédé et une petite collection en format de poche est née. Et si ces livres étaient d’abord destinés à accompagner les photographes lors de leurs expositions, la plupart ont été fort bien accueillis dans tous les rayons ou librairies photos où Aline les a présentés : à Paris (Nouvelle Chambre Claire, MEP, Jeu de Paume, Beaubourg, BNF…) comme à Marseille (Mucem, Regards de Provence, Maupetit, Prado Paradis...). Il faut dire que le pari est plutôt réussi : publier de petits livres photos, ou photos et textes, à un prix modique, avec une qualité d’impression soignée (en travail direct avec un imprimeur marseillais). L’un de ces livres,
Le Jardin de mon père de Jean-Claude Gautrand, intimiste et émouvant, le dernier publié par l’auteur de son vivant, sera mis à l’honneur cette année, à la fois à Paris (galerie Les Douches), à Marseille (exposition collective au Musée Cantini) et aux Rencontres d’Arles (grande rétrospective au Musée Réattu).
Parallèlement à cette petite collection, Photo#graphie a aussi publié une dizaine d’autres livres, de présentations et formats différents, en fonction des projets de chaque auteur, qui auraient pu augurer de nouvelles collections. Certains sur
Le Monde comme il va,
La Chine au tournant du siècle et
Entre toujours et demain : une révolution made in Tunisia. D’autres alliant photo et poésie, comme
Itinéraire provisoire et
Fragments — un travail au long cours de photos et de textes sur des corps à fleur de peau, dont Jean-Benoît et Aline sont les co-auteurs. Ou d’autres livres encore, des
OPNI (Objets Photographiques Non Identifiés) comme les nomme Jean-Benoît, complètement inclassables. Ainsi de
BarOcus Dreyfus, imaginé par Claire et Philippe Ordioni, un duo d’artistes père et fille, un conte photographique à la fois drôle et touchant, dans lequel le célèbre Jean-Claude Dreyfus se confronte à son ego. Avec, pour ouvrir le bal, une préface savoureuse écrite par Orlan.
Enfin,
Confinitude est une expérience singulière, le souvenir le plus fort pour Aline. Réalisé dans des circonstances exceptionnelles, en pleine épidémie de Covid, et publié en mai 2020 dès la sortie du premier confinement, cet ouvrage collectif rassemble des images et des textes de plus de soixante auteurs, des amateurs mais aussi des photographes professionnels dont certains ont exposé dans de hauts lieux de la photo : MEP, Bourse des Talents à la BNF, Institut du Monde Arabe, Friche La Belle de Mai, Londres, New York, Milan… Tous ont répondu avec le même enthousiasme pour participer à un appel à projet lancé dès les premiers jours du confinement. Chaque jour sont arrivées des photos du monde entier, de France et d’ailleurs (Italie, Maroc, Algérie, Congo, Chine, Japon, Brésil…). Pour aboutir à ce livre, «
ni un reportage, ni un témoignage. Juste une trace, une mémoire de ce ressenti, de ces sentiments mêlés à une énorme envie de partage. » Le partage… tel est la clé de voûte et l’ADN de Photo#graphie… Un seul regret pour Aline, que ce challenge (publier un livre collectif dès la sortie du confinement sans en connaître à l’avance la date) ne soit pas salué plus amplement. «
Mais on n’est pas très bon en com’ », soupire-t-elle.
Le partage, c’est bien beau mais… avec quel budget ? Zéro. C’est du bénévolat pur et simple, c’est-à-dire du temps, de l’énergie, de l’intuition, de l’envie, des échanges. Et tous deux ont appris en faisant. Maquette (Jean-Benoît, fervent défenseur des logiciels libres, utilise Scribus), choix des polices, du papier… «
Nous ne sommes pas des professionnels, insiste Aline,
juste des passionnés, avec le souci de bien faire. » Le seul coût à avancer par les photographes est celui de l’impression ; et c’est ce coût qui détermine le tirage. «
Selon les livres, on a tiré entre 110 et 800 exemplaires ; un livre est épuisé, deux (Ceci n’est pas une carte postale et VELO) ont fait l’objet d’un retirage. »
L’association, qui compte à ce jour plusieurs centaines d’adhérents et de sympathisants, va perdurer. Elle continuera à participer ou à organiser des événements, à publier des coups de cœur, à partager une newsletter. Mais ce livre sera sans doute le dernier car si cette aventure éditoriale a été riche en rencontres, elle a été aussi par moments source de doute, de tension, de stress et surtout hautement chronophage. Avec le soutien sans faille de leur présidente, Aliette Rocca-Serra, ancienne attachée de presse, belle dame indigne de presque quatre-vingt-dix ans, Aline et Jean-Benoît se sont donné sans compter. Ils veulent à présent privilégier leurs propres projets, qu’ils soient liés à la photo, à l’écriture ou juste... à la douceur de vivre.
PM
> Du 19 au 27/06 à l’Atelier Rafale (5 rue Pastoret, 6e)