Roberto Rossellini (1906-1977) est l’auteur d’une œuvre généralement tenue pour cruciale, fondamentale, essentielle (enfiler ici les adjectifs dithyrambiques et ronflants).
Pour prendre la mesure de l’effet que ses films de l’immédiate après-guerre ont eu, il faut se souvenir de ce que la star hollywoodienne Ingrid Bergman lui écrivit, en 1948 : « […] Si vous avez besoin d’une actrice suédoise qui parle très bien anglais, qui n’a pas oublié son allemand, qui n’est pas très compréhensible en français, et qui en italien ne sait dire que « ti amo », alors je suis prête à venir faire un film avec vous. […] »
Qu’un travail puisse inciter à une telle liberté, à une telle mise à nu, est bien le signe de sa puissance, de sa fécondité. Par les films de Rossellini, l’italien devint la langue du cinéma.
Durant une quinzaine d’années (de 1945 au début des années 1960), la filmographie de Rossellini a dessiné une carte au trésor, le trésor d’un cinéma qui serait autre qu’une litanie de fictions dérisoires destinées à distraire. Les cinéastes des années 1960, particulièrement en France, ont vu dans Rossellini une figure tutélaire (N.B. : cette filmographie est en grande partie accessible dans notre vidéoclub.)
Mais Rossellini n’a pas cessé son activité au début des années 1960, il ne s’est pas retranché dans une tour d’ivoire à recueillir des honneurs : il a réalisé des films pour la télévision.
Et cette période de Rossellini, la dernière, est généralement reçue avec une indifférence polie. Il écrivait : « On a seulement inventé à mon usage exclusif une délicate réclusion qui consiste à me tenir enfermé dans l’univers de la cinémathèque et à ne m’en laisser sortir à aucun prix. »
Au Videodrome 2, qui n’est pas à proprement parler une salle de cinéma, ni de cinémathèque, nous proposons ainsi quatre films du dernier Rossellini, évocations de vies : SOCRATE, BLAISE PASCAL, AUGUSTIN D’HIPPONE, DESCARTES.
Pour comprendre ces propos de Rossellini :
« Plus désolante m’apparaît la méprise avec certains qui se réclamaient de moi. Les metteurs en scène de la Nouvelle Vague, eux-mêmes l’ont dit à qui voulait l’entendre, ont trouvé à travers mon exemple l’occasion de se libérer des films exclusivement construits sur les critères de l’argent et d’échapper au star system ainsi qu’aux catégories qu’il a fabriquées : policiers, westerns, films d’action, de psychologie, d’angoisse, de fantastique, etc. En quelque sorte, ce sont mes enfants. Du moins revendiquent-ils la filiation rossellinienne.
Mais si c’est exact, qu’ont-ils fait, pour la plupart, de l’héritage que je leur ai légué, du cinéma d’auteur ? Depuis vingt ans, à l’exception de Godard, qui constitue un cas à part sur lequel je reviendrai, ils racontent inlassablement les troubles de la puberté. A quoi bon libérer le cinéma des forces de l’argent si c’est pour le faire déboucher sur celles du fantasme individuel, en espérant que celui-ci deviendra collectif pour vous apporter le succès ? Ce malentendu est plus grave que les autres, car il détourne de son but – la connaissance- un espoir qui était grand. »
Pour voir.
Emmanuel Vigne