Rétrospective Douglas Sirk à l’Institut de l’Image
Mélo man
Douglas Sirk est sans conteste l’un des plus grands cinéastes de l’Âge d’Or hollywoodien. Mais cet exilé de l’Allemagne nazie réalisa en Europe une poignée de grands films restés longtemps invisibles. L’Institut de l’Image d’Aix-en-Provence comble ce vide, avec une magnifique rétrospective, du 29 octobre au 25 novembre.
C’est une page non pas ignorée mais trop peu citée de l’histoire du cinéma : l’exil, avant la Seconde Guerre mondiale, des cinéastes berlinois et viennois, principalement de confession juive, vers les États-Unis a considérablement participé à l’Âge d’Or de la production hollywoodienne dès les années 40. Incontestablement, parmi les cinématographies internationales des premières décennies de l’image en mouvement, deux d’entre elles ont profondément bouleversé ces langages en émergence, par leur créativité hors normes, et leurs champs d’expérimentations : le cinéma soviétique et l’expressionisme allemand. Ce dernier a forcé dès le début des années 20 l’admiration des studios américains, alors en pleine expansion. Ils installèrent diverses succursales en Europe, dont bien évidemment en Allemagne et en Autriche. Et commencèrent à débaucher une poignée de cinéastes, actrices, techniciens venus s’installer sur la côte Ouest : ce fut la première vague d’exil. On peut citer le maître de la comédie Ernst Lubitsch, Michael Curtiz (d’origine hongroise) ou l’actrice Marlene Dietrich. Mais après le discours de Goebbels en 1933, et l’annonce des lois antisémites, une seconde vague d’exil, forcément plus importante, s’étend tout au long des années 30. Ce sera le cas de Billy Wilder, qui perdra la majorité de sa famille dans les camps d’extermination, d’Otto Preminger, Robert Siodmak ou Douglas Sirk, dont l’épouse était juive. En bref, la plupart des cinéastes qui ont fait les grandes heures des productions hollywoodiennes.
Attardons-nous sur ce dernier : Douglas Sirk est bien évidemment connu pour sa période américaine, autant d’œuvres flamboyantes, mélodramatiques ou romantiques, aux divers degrés de lectures. Mais l’on connaît peu, voire pas du tout, sa période allemande qui précéda son exil : un trésor cinématographique — qui offre un éclairage essentiel sur ses œuvres ultérieures — récemment restauré par la Murnau Stiftung et sorti en salle par Capricci. Et pour notre plus grand plaisir, après une belle rétrospective à la Cinémathèque Française, l’équipe de l’Institut de l’Image d’Aix-en-Provence nous offrira une occasion unique de découvrir ces œuvres, dans le cadre du cycle consacré à Douglas Sirk, mêlant périodes allemande et américaine. De 1935 à 1937, les sept films réalisés en Allemagne, et signés de son nom de naissance, Detlef Sierck, lui valent déjà un succès important. On y retrouve les fils narratifs qu’il développera dans l’essentiel de son œuvre, du tourment des amours impossibles aux portraits de destinées romanesques, particulièrement chez les personnages féminins ; avec, déjà, une maestria technique qui restera l’une de ses signatures cinématographiques. Sept œuvres à découvrir sans tarder :
La Fille des marais,
April, April !,
Les Piliers de la société,
Du même titre,
Paramatta, bagne de femmes,
La Habanera et
La Neuvième Symphonie. Ce dernier film sera l’occasion d’une table ronde exceptionnelle à l’occasion des soixante-dix ans de la revue
Positif, animée par Vincent Thabourey, en présence de Louise Dumas, N.T. Binh et Jean-Loup Bourget. Ce cycle de haute volée nous permettra de (re)voir sur grand écran — écrin idéal pour un tel cinéaste — les chefs d’œuvre de Douglas Sirk que sont, entre autres,
Tout ce que le ciel permet,
Écrit sur du vent,
Le Temps d’aimer et le temps de mourir, ou l’inoxydable
Mirage de la vie.
Emmanuel Vigne
Rétrospective Douglas Sirk : du 29/10 au 25/11 à l’Institut de l’Image (Cité du Livre, Aix-en-Provence).