Les imaginaires qui se sont construits autour de la boxe se situent le plus souvent dans un univers masculin. La boxe y apparaît majoritairement comme un sport de gros bras et de têtes brûlées, un spectacle intrinsèquement compétitif reposant sur la starification et les magouilles d’argent. Dans le storytelling classique, la boxe est l’endroit d’un accomplissement de soi pour les self made men, dont la chute finale est redoutée mais attendue. La boxe féminine souffre quant à elle d’autres poncifs, étant la plupart du temps considérée comme un outil d’auto-défense ou une pratique disruptive. Bien souvent, ces représentations sont la clé de nombreux films du box office, où la boxe ressort comme un objet de fascination à l’écran. On peut penser, entre autres, aux succès de la saga Rocky (Sylvester Stallone), à Raging Bull (Martin Scorsese), Ali (Michael Mann), ou encore Million Dollar baby (Clint Eastwood).
Avec quelques boxeureuses de la Frapppe (Fédération Radicale des Ami-es du Poing Poing Poing Enervé), un collectif marseillais autogéré de boxe anglaise en mixité choisie sans hommes cisgenres, on a donc eu envie de chercher des récits différents, dans l’espoir que quelque chose d’autre existe, comme un contrechamp à ces histoires si bien huilées. Ce ne fut pas tâche facile, et la sélection qui en résulte ne prétend pas être d’une transgressivité radicale, ni recouvrir de manière exhaustive la diversité des pratiques et des vécus liés à ce sport. Notre programmation naît simplement du désir d’emprunter des chemins de traverse pour dénicher des films restés dans l’ombre de la diffusion grand public et des grosses productions cinématographiques ayant rendu le genre du « film de boxe » presque canonique.
Cette programmation a ainsi été pensée comme un geste politique, d’autant plus que les films retenus sont pour une grande partie des documentaires (là où le genre nous avait jusque là habitué-es à de la fiction), et qu’ils mettent sur le devant de la scène une majorité de femmes-réalisatrices ayant su s’emparer de ce sport d’une manière nouvelle pour raconter des histoires invisibilisées. Dans Laetitia (Julie Talon), l’ex-championne du monde de boxe thaï et mère célibataire remet son titre en jeu et son corps à l’épreuve dans l’entraînement. De son côté, GirlFight (Karyn Kusama) reprend les codes du film initiatique et du teenage movie pour mettre en scène Diana et retracer son apprentissage de la violence, sur le ring comme dans la vie. S’éloignant des stéréotypes du film centré sur l’individu, Alka Raghuram nous offre avec Burqa Boxers un récit collectif, celui d’un groupe de boxeuses à Calcutta entraînées par la toute première coach indienne. Enfin, les courts métrages Un corps provisoire (Djamila Daddi-Addoun), La lutte est une fin (Arthur Thomas) et Last Round (Nine Antico) apparaissent comme autant de propositions esthétiques qui redessinent chacune à leur manière les contours de ce que la boxe « peut être également »: une pratique collective, un espace à la croisée des luttes, une discipline exigeante, tantôt libératrice et tantôt destructrice…
Afin d’approfondir et de prolonger ces réflexions, Aya Cissoko nous offrira un contre-poing à l’image de la boxeuse guerrière et résiliente, et aux injonctions néolibérales qui la sous-tendent. Ex-championne du monde de boxe française en 1999 et 2003, puis de boxe anglaise en 2006, et écrivaine (Danbé, Au nom de tous les tiens…), elle nous fera l’honneur de donner une conférence suivie d’un temps d’échange le samedi 20 mai.
Enfin, ce week-end de programmation sera accompagné d’une exposition et d’un DJ set, afin de proposer d’autres entrées artistiques à l’univers de la boxe, toutes issues ou inspirées par le collectif La Frapppe. Des photogrammes tirés d’un projet de film en chantier, des esquisses, dessins et textes extraits d’une BD en cours d’écriture, et des photographies viendront égayer les murs de l’espace bar du Videodrome 2 durant ces quatre jours.
Emmanuel Vigne