Kim Jee-Woon, la naissance d'un maître (V.O.)

Mini-cycle consacré au réalisateur, scénariste et directeur de la photographie sud-coréen à l'occasion de la sortie en salle de Ça tourne à Séoul ! Cobweb

Dans les années 1990, en Corée du Sud, une vague de jeunes réalisateurs profitent à plein de la liberté d’expression que leur offrent la fin de la dictature et la promesse démocratique. Parmi ces prodiges provocants et engagés, Park Chan-wook, Bong Joon Ho et Kim Jee-woon. Avec certains de leurs pairs, aujourd’hui moins connus en dehors des frontières, ils rejettent le cinéma social réaliste. Ils sont cinéphiles, curieux et affectionnent particulièrement le cinéma de genre. Les histoires qu’ils racontent ne sont pas décorrélées de la réalité de leur pays pour autant, loin s’en faut, mais ils revendiquent la fiction, le « cinéma-cinéma », comme leur terrain de jeu et leur réalité. C’est d’autant plus vrai avec Kim Jee-woon, consommateur effréné de tout type de films depuis son plus jeune âge, fréquentant les salles, les vidéo clubs et transformant son salon en temple des metteurs en scène grâce à son lecteur de LaserDiscs dernier cri. « Romance, films pour adultes, action, films d’espionnage, films de monstres, SF ou horreur… Je ne savais pas qu’il existait autant de genres » dit-il1. Les frères Coen, Stanley Kubrick, Leos Carax, les films d’animation japonais, les cinéastes de la Nouvelle Vague et aussi Jean-Pierre Melville nourrissent sa curiosité et développent son regard de futur réalisateur.

 

 

De tous les cinéastes contemporains sud-coréens, Kim Jee-woon est le plus éclectique : comédie d’horreur (A QUIET FAMILY), film de sport (FOUL KING), film d’épouvante (2 SOEURS), film noir (A BITTERSWEET LIFE), western (LE BON, LA BRUTE ET LE CINGLÉ), film de serial killer (J’AI RENCONTRÉ LE DIABLE), film d’action américain (LE DERNIER REMPART), cinéma d’anticipation (ILLANG – LA BRIGADE DES LOUPS et DR BRAIN), espionnage historique (THE AGE OF SHADOWS) et comédie méta (ÇA TOURNE À SÉOUL ! COBWEB)… Il s’est réapproprié tous les codes pour livrer un cinéma foisonnant et singulier. Metteur en scène esthète, il est parfois considéré à tort comme un faiseur d’images, un artiste exclusivement visuel, mais son goût pour la tragédie, les rapports humains et les personnages confrontés à leur propre solitude fait de lui un conteur remarquable, défenseur du romantisme.

Au milieu des années 1990, fauché et le coeur brisé, Kim Jee-woon participe à des concours de scénario, et le script de THE QUIET FAMILY sort vainqueur de l’un d’eux. Sans expérience de mise en scène au cinéma au préalable, il réalise lui-même le film sur une famille d’aubergistes constatant que les cadavres s’empilent dans son établissement. Hybride, THE QUIET FAMILY est un « théâtre comique de la cruauté » selon le cinéaste1. Amateur de théâtre justement – il a étudié l’art dramatique à l’Institut des Arts à Séoul –, il recrute cet acteur qu’il avait vu sur scène un soir : un dénommé Song Kang-ho. Le metteur en scène est conquis par « le tout nouveau style de jeu », « un nouveau code d’humour » qu’impose le jeune comédien dans l’art coréen. Il lui confiera le rôle du fils cadet, face à Choi Min-sik (OLD BOY) dans la peau de l’oncle. Allégorie de la société coréenne, film politique sans avoir l’air d’y toucher et conte macabre, THE QUIET FAMILY assoit l’humour à froid de Kim Jee-woon, cette manière d’utiliser les décors et surtout les intérieurs comme des espaces mentaux et son approche insaisissable du storytelling. Enfin, il lance la carrière du cinéaste, notamment grâce à sa sélection au Festival de Sitgès, et scelle une amitié indéfectible avec son acteur Song Kang-ho – ils collaboreront ensuite sur FOUL KING (2000), LE BON, LA BRUTE ET LE CINGLÉ (2008), THE AGE OF SHADOWS (2016) et ÇA TOURNE À SÉOUL ! COBWEB (2023). 

1 interview par Kim Hyun-seok, 2008

Cinéma Les Variétés
Du 15 novembre au 4 décembre 2023
7,80/9,80 €
Rens. 04 91 35 20 86
https://lesvarietes-marseille.com/
37 rue Vincent Scotto
13001 Marseille
04 91 35 20 86
08 92 68 05 97