La forme historique et politique des empires vient de loin, elle s’inscrit dans l’histoire longue de la Méditerranée. Comment la déplier au mieux et tenter de comprendre ce qui fait la singularité des empires ?
Vastes unités politiques, expansionnistes ou conservant le souvenir d’un pouvoir étendu dans l’espace, qui maintiennent la distinction et la hiérarchie à mesure qu’elles incorporent de nouvelles populations
selon les historiens Burbank et Cooper, les empires soulèvent d’immenses questions.
À l’heure où le désir d’empire fait retour en Europe et en Méditerranée, peut-on encore faire l’hypothèse, avec le grand historien Jean Baptiste Duroselle, que « tout empire périra ? » La suprématie et la force ne sont-elles pas des régularités, des constantes dans les relations internationales ? Qu’est-ce qui entraîne la chute des empires ou qui, au contraire, maintient leur cohésion ?
Il est plus nécessaire que jamais de se pencher sur l’histoire des empires, sur leurs évolutions, leurs décompositions et leurs réinventions. Le monde méditerranéen a été, depuis plus de deux millénaires, le théâtre d’affrontements entre empires. Empires de Dieu contre empires des hommes ? Empires romain, perse, byzantin, chrétien ou musulman…
Jeux d’empires, entre Empire ottoman, qui s’est déployé durant plus d’un demi-millénaire, et empires coloniaux, à partir du XIXe siècle, pour tenter d’obtenir la maîtrise du monde, ou au moins de ce milieu du monde qu’incarne la Méditerranée à cette époque.
Le choc des empires, à défaut du choc des civilisations qui nous a trop longtemps aveuglés, n’est-il pas la nouvelle grammaire des relations internationales aujourd’hui, au XXIe siècle ? Empires américain et russe, nouvel empire chinois, empire néo-ottoman, empire ou puissance européenne, voire euro-méditerranéenne, empire islamique, à travers un nouveau califat qui cherche par le djihad à propager une vision politique d’empire islamique ? Nouvel empire d’Occident ou nouveau Moyen-Orient à l’américaine qui, au nom de la démocratie, exerce sa suprématie ? Empires économique et financier, technologique et numérique, culturel et symbolique ?
Peut-on concevoir un au-delà des empires, demain, en Méditerranée ? Ou sommes-nous condamnés au règne du désastre, de l’arbitraire et de la force ? Le pouvoir du droit, le désir de liberté, la puissance instituante de l’imaginaire en actes, ne sont-ils pas en mesure de créer de nouvelles formes politiques ? Qu’est-ce qui est devant nous ? Le retour des empires, d’une nouvelle sorte d’impérialisme voire de totalitarisme, entre Europe et Méditerranée, comme le prédisent ou l’annoncent tant de messagers de mauvais augure ?
« À chaque effondrement des preuves, le poète répond par une salve d’avenir », écrivait René Char. De quelles salves d’avenir peut-on encore recharger notre « principe espérance » ? Les yeux grands ouverts sur ce qui vient, comment défier le pire et guetter l’inespéré… Tout empire périra ?
— Thierry Fabre
fondateur et concepteur des Rencontres d’Averroès
septembre 2023
CC