Au bois dormant

"Fantaisie pour une belle qui sommeille" par le Badaboum Théâtre d'après les Frères Grimm, Perrault, Tchaïkovski... (50'). Mise en scène : Anne-Claude Goustiaux. Dès 4 ans

Sans cesse, il nous faut parvenir à montrer ce dont nous sommes capables. Le succès est une mise à l’épreuve dont nous devons ressortir vainqueurs : il faut réussir pour grandir. Pourtant, dans La Belle au bois dormant, la jeune héroïne devient femme… en dormant. Dormir pour devenir. Sa prouesse à elle, ce sera d’attendre, et même pendant cent ans !

Si tout le monde connaît La Belle au bois dormant, personne ne s’en souvient vraiment, chacun se perd entre les différentes versions de l’histoire, confondant les détails, effaçant les enjeux… C’est dans ces interstices d’oubli que le spectacle creuse, avec ces restes qu’il compose. La mémoire nous manque et le spectacle est comme une déambulation entre les vestiges du conte. Que reste-t-il du récit lorsqu’on ne le raconte pas ? Qu’est-ce qui surgit du conte quand il se tait ?

 

 

Il ne suffit pas de dire que l’on y voit moins bien la nuit,
i
l faut comprendre pourquoi l’obscurité invite à regarder (et à sentir) autrement.
— Michaël Foessel

 

https://www.journalventilo.fr/au-bois-dormant-au-badaboum-theatre/

Badaboum Théâtre
Du 18 au 25 nov. : mar, jeu 9h45 - mer, sam 14h30
5/7/9 €. Réservation conseillée au 04 91 54 40 71
http://www.badaboum-theatre.com/
16 Quai de Rive-Neuve
13007 Marseille
04 91 54 40 71

Article paru le mercredi 15 dcembre 2021 dans Ventilo n° 456

Au bois dormant au Badaboum Théâtre

Conte défait

 

En ces temps de jours raccourcis et de pleines lunes irradiant les nuits froides et noires, voilà qu’Anne-Claude Goustiaux s’empare d’une histoire qui sommeillait bien au fond de nos mémoires. Au bois dormant, ultime création sans dernier cri du Badaboum, revisite le conte en y trouvant ce qui fait théâtre.

    On connaissait la metteuse en scène pour son goût pour la langue ardue, pour la farce burlesque et les pièces faites d’éclat (Ubu, Cyrano, La Farce de Maître Pathelin), mais c’est ici sur le silence d’un texte dont on connait mal les versions que nous allons nous attarder. Du conte de La Belle au Bois Dormant, nous ne nous rappelons bien souvent pas grand-chose, si ce n’est que l’héroïne est belle, qu’elle se pique on-ne-sait pas-pourquoi, et qu’après un bon roupillon de cent ans, elle sera réveillée par un beau prince tout charmant, tout à fait son égal, donc. Mais pour notre amatrice de poésie, nécessité se faisait dans ce nouveau projet de s’attarder sur ce qu’il y avait en creux de cette histoire assez imprécise, de « prendre le temps d’une recherche avec peu de matière. Après tout, que se passe-il quand on décide de ne rien raconter, et de laisser le théâtre opérer, avec ses noirs et ses effets ? » Quand elle parle des premiers essais avec les acteurs (les fringants Geoffrey Coppini, Magali Fremin du Sartel et Jessy Coste), elle se souvient de « beaucoup de silences, qui se côtoyaient dans une même obscurité ». Mais que voit-on dans le noir ? Pourquoi nous angoisse-t-il ? Qu’y projetons-nous, depuis notre enfance et jusque dans l’âge adulte ? Loin cependant de toute noirceur, et si le spectacle s’ancre dans une veine mélancolique et rêveuse, les moments de rire ne manquent pas : les parents s’avèrent si grotesques qu’ils en sont marionnettiques, la Belle se pique avec un stiletto de cabaret, les chorégraphies pourraient être celles du Lapin blanc d’Alice au Pays des merveilles. La scénographie, modeste mais astucieuse, de coulissants japonais en papier permet tout autant clowneries entre fées ratées, jeux d’ombres inquiétants qu’improbable course labyrinthique, grâce à l’habileté reconnue d’une équipe technique astucieuse (La Phalène, Elsa Casilli, Jérôme Guitard), qui parvient à démultiplier les espaces ô combien restreints du petit plateau du Bada. Avant tout, l’histoire réinventée de la Belle au Bois dormant est prétexte à nous parler de l’adolescence d’une jeune fille qui grandit dans un univers surprotégé et qui se réfugiera dans le sommeil pour échapper à ses parents trop inquiets… Là encore, on retrouvera un Prince charmant dont on ne sait toujours pas s’il existe encore, mais — signe des temps émancipateurs — il n’est pas dit que son baiser suffise à résoudre le destin de la jeune fille… Quelle issue donc pour cette jeune fille, pressurisée, convoitée par une beauté qui devient fardeau ? À l’expérience publique, cette création nous offre un merveilleux cadeau : une camera obscura de nos désirs et de nos peurs, une matière à rêver, dans un même chemin emprunté par petits et grands.  

Joanna Selvidès

 

Au bois dormant : jusqu’au 24/12 au Badaboum Théâtre (16 quai de Rive Neuve, 7e).

Rens. : www.badaboum-theatre.com