L’entretien | François Morel

Une résidence de création et les premières d’un spectacle de François Morel entre le Théâtre de l’Olivier à Istres et les Théâtres à Marseille, ça se fête ! Tant qu’à faire sur un bateau marseillais devenu le bateau-phare Le Roquerols, ancré à Sète le temps du centenaire de Brassens. Ce 22 octobre, jour anniversaire du grand Georges, l’inclassable touche-à-tout Morel a pris le temps de commenter sa foisonnante actualité.

    En cette rentrée, François Morel est sur tous les fronts. Au menu de l’artiste, un faux témoignage d’un poète disparu (Tous les marins sont des chanteurs), trois faux hommages, dont un à Devos (toujours en tournée avec J’ai des doutes) et deux à Georges Brassens : un disque avec Yolande Moreau, Brassens dans le texte, et le spectacle Brassens a 100 ans, qui a remporté, le week-end dernier au Théâtre Molière de Sète, un phénoménal succès amplement mérité. Spectateur enthousiaste, notre premier ministre ne doit pas encore être remis de la version rap de L’Hécatombe chantée par une Juliette au summum de la puissance de sa voix et de ses convictions, qu’elle tempéra d’un préambule enfantin : « Faut pas dire du mal de la police, c’est pas bien ! » Le Domaine d’O de Montpellier et le Théâtre + Cinéma de Narbonne accueillent cette semaine les quatre seules dates supplémentaires de ce spectacle que l’on espère bientôt en tournée mondiale. Ajoutons à cela un livre, Ça va aller !, compilant ses chroniques de France Inter sur des sujets piqués à l’actualité ou à l’air du temps… À se demander si François Morel ne serait pas devenu notre plus talentueux faussaire, de ceux qui altèrent la vérité pour embellir le monde. Un architecte de légendes, joyeux entrepreneur de restauration de lendemains qui déchantent. Visiblement, il fait du bien à toute la France !   Tous les marins sont des chanteurs a connu une création à rebondissements. Quels en ont été les épisodes principaux ? En 2017, à la demande de Gérard Mordillat, je suis venu improviser des chansons de marins avec mon alter-ego, le pianiste Antoine Sahler, pour la clôture de « Ciné Salé », son festival international du film de mer et de marins au Havre. Vif succès et grand plaisir. Nous avons alors continué l’aventure avec un certain Yves-Marie Le Guilvinec, un pêcheur breton poète, mort à trente ans : d’abord avec un CD de ses chansons, puis Gérard a écrit sa biographie. Le spectacle devait se créer en Bretagne, puis il y a eu le Covid et toutes les annulations… Une petite tournée de concerts avec seulement les chansons s’est faite sur les côtes bretonnes cet été. Le spectacle fera finalement ses premiers pas en eau douce mais confiante au Théâtre de l’Olivier, à deux pas de l’étang de Berre. Puis au bord de la Méditerranée, à Marseille, à l’invitation de Dominique Bluzet. Il y a beaucoup de marins dans le coin, et sûrement pas mal de Bretons.   Yves Marie Le Guilvinec en serait-il content ? Je dois confesser que j’ai beaucoup de mal à parler de lui aux journalistes qui m’interrogent, à garder mon sérieux. Gérard Mordillat est beaucoup plus convaincant que moi dans sa biographie. Je m’amuse ! Comme avec Devos ou Brassens, c’est en étant respectueux du fond que parfois sur la forme on peut se laisser aller. On fait des blagues parce que l’on n’est, je pense, pas trop mauvais pour ça. Du fait du décalage de la tournée, étant donné que Gérard Mordillat, co-auteur du projet avec Antoine Sahler, est actuellement pris par des documentaires avec Arte, il sera en alternance avec le comédien-chanteur Romain Lemire. Romain sort, en janvier prochain, un très joli album qui ressemble à la belle personne qu’il est : Monument aux vivants (Label le Furieux). Je fais un duo avec lui, Vivre en fanfare. Il a une très belle écriture.   Dans quel état d’esprit te laissent ces temps perturbés ? Je suis très heureux professionnellement, j’ai une grande chance que l’on me programme, ou que l’on me donne les clefs du Théâtre Molière pour faire un spectacle sur Brassens pour le centième anniversaire de sa naissance ; je n’en aurais même pas rêvé ! On me fait confiance, comme moi-même je fais confiance aux gens que j’aime et que j’admire, de Brassens à Juliette ou Antoine Sahler… Je mélange des artistes avec qui j’ai l’habitude de travailler et des nouveaux venus comme Judith Chemla, avec qui je viens de tourner dans La Grande Magie, une comédie musicale de Noémie Lvovsky où j’ai découvert son incroyable voix. Parfois, je me dis que je devrais un peu lever le pied…puis…   Comment as-tu travaillé tes différents projets autour de Brassens ? Les choses se font de manière organique, au bout d’un moment, on ne sait pas comment on travaille, ça se fait tout seul. On se voit beaucoup, on se parle. Antoine Salher a été hyper important, c’est la cheville ouvrière de ces projets. Il a choisi l’auteur, compositeur et merveilleux guitariste Thibaud Defever, qui a une élégance absolue dans sa façon d’interpréter Brassens. Et notre précieux multi-instrumentiste Amos Mâh était déjà sur La Vie, titre provisoire et est avec nous dans le bateau de Tous les marins sont des chanteurs.   Choisir Yolande Moreau pour le disque Brassens dans le texte, n’était-ce pas risquer de faire trop Deschiens ? Ça a trente ans maintenant, les Deschiens ! J’ai quand même le droit de travailler avec Yolande ! (rires) Blague à part, je suis plutôt pour ne rien m’interdire. Il faut avouer que la reconstitution d’une équipe dissoute, notre duo des Deschiens, fait énormément plaisir aux gens et leur renvoie une image rassurante, je pense. C’est humain. Le public peut se projeter dans ce côté « bons copains fidèles » qui va bien avec Les copains d’abord de notre Georges. Pour nous, l’envie était toujours présente, le plaisir d’un nouveau partage professionnel, bâti sur une relation amicale jamais rompue et alimentée de bons déjeuners, de vacances, de moments d’amitié… Entre nous, j’aime bien mes vieux amis et j’aime bien aussi que l’amitié puisse renaitre parce que l’on connait des gens nouveaux. Antoine fait partie de ma vie amicale de façon incroyable. Le choix de Yolande correspondait aussi à mon envie qu’il y ait une voix féminine sur le disque.   Pourquoi ? En dehors de toute tendance, je trouve bien que les textes de Brassens soient aussi défendus par des femmes. C’est également le cas avec Brassens a 100 ans : je partage la scène avec trois magnifiques chanteuses, ma Juliette, Lucrèce Sassella et Judith Chemla. C’est non seulement une façon de contrecarrer toutes les bêtises que l’on entend sur la misogynie de Brassens, mais aussi de sortir de cette image du Brassens « pipe, moustache, costume en velours et ambiance de mecs seulement entre mecs ». Que ces quatre personnalités différentes chantent leur Brassens permet d’entendre la part féminine, si j’ose dire, de Brassens. (Sourire)   En plus de l’anniversaire de Brassens, c’est aussi celui de Ventilo, qui a vingt ans cette année et se maintient en culturel gratuit. Un petit mot pour le fêter ? Eh bien, tenez bon ! Parce que c’est important de se réunir autour des œuvres de l’esprit et que c’est indispensable des gens qui font le lien entre le public et les artistes. On s’est bien rendu compte du caractère essentiel de la culture. En tant que spectateur, aller au théâtre m’a manqué lorsqu’ils étaient fermés. C’est quand même pour être ensemble, vivre et faire une société ensemble qu’on crée toutes ces choses, des spectacles, des fêtes d’anniversaire à nos aînés… bref, que vous et moi nous faisons tout ça, donc tenez bon pour les vingt et les cent prochaines années !   Les élections à venir t’excitent-elles dans ce qu’elles vont pouvoir te donner comme matière pour tes chroniques ? C’est peut-être l’âge qui vient, mais j’ai l’impression que je parle de moins en moins de politique, ou alors d’une façon très détournée. De ce point de vue-là, parfois je pourrais répondre à la manière de Brassens, car je ne suis pas toujours très sûr de ce que je pense. Et j’aurais bien du mal à faire la leçon aux autres.    

Propos recueillis par Marie Anezin

   

Tous les marins sont chanteurs :

• • le 7/11 au Théâtre de l’Olivier (Istres). Rens. : scenesetcines.fr/

  • Du 9 au 11/11 à l’Odéon (162, la Canebière, 1^er). Rens. : http://lestheatres.net/

Rencontre avec François Morel et Gérard Mordillat le 6/11 à 11h à la Librairie L’Arbre-monde (Istres).

Pour en (sa)voir plus : https://francoismorel.com