Lion's Drums - Kagabas

Live audiovisuel, entre field recording, ambient et beat électroniques

Menacé·e·s par la déforestation, l’accaparement des terres et les effets du changement climatique, les Kagabas, peuple amérindien de Colombie, craignent pour l’avenir de leur cadre de vie, leur autonomie et le maintien de leurs traditions. Iels chantent pour renforcer leur connexion avec « Aja », la Mère Nature, préserver l’équilibre, le respect et l’harmonie de la Sierra Nevada. Lion’s Drums a fait leur connaissance, séjourné plusieurs jours dans ces montagnes qui abritent une riche biodiversité et les a enregistré·e·s.
Kagabas a pour base ces chants et les bruits de la nature environnante. Dans son live audiovisuel, l’artiste continue à explorer le rapport entre field recording, ambient et beat électroniques subtiles.

Une partie des bénéfices de l’album et de la tournée est reversée à l’organisation Nativa pour soutenir son combat pour la reforestation et la restitution des terres.

 

https://www.lionsdrums.com/

 

https://www.journalventilo.fr/lentretien-lionsdrums/

 

Direction musicale et composition : Harold Boué
Chants : Màma Jose Miguel Nuevita et son fils Camilo
Conception graphique et vidéo : Floriane Ollier
Création lumière : Freddy Peretti

Montévidéo
Le mercredi 26 janvier 2022 à 21h30
8/12 € (Pass soirée : 12/20 €)
https://www.plateformeparallele.com/
3 impasse Montévidéo
13006 Marseille
04 91 37 97 35

Article paru le jeudi 15 avril 2021 dans Ventilo n° 447

L’entretien | Lion's Drums

Harold Boué, alias Abstraxion, petit génie de l’électro phocéenne, sort sous le nom Lion’s Drums un projet engagé dans la transmission et la conscience collective. Hybride, Kagabas est un témoignage sonore recueilli et mis en musique par l’artiste, après une immersion en Colombie au sein de la communauté autochtone éponyme de la Sierra Nevada. Les chants éducatifs des sages y sont habillés de sonorités électroniques et ponctués en live de projections de vidéos captées sur place. Le résultat est immersif, profond, impactant. À l’occasion d’une représentation réservée aux professionnels et jouée dans le module du GMEM en mars dernier, nous avons voulu en savoir plus sur ce projet singulier et les actualités de l’artiste pluriel.

      Bonjour Harold. Comment t’est venue l’idée de ce projet, et comment a-t-il été possible de rencontrer les Kagabas, peuple autochtone vivant en Colombie ? J’ai écouté un podcast sur France Culture, dans lequel on entendait un Máma (« sage » du peuple Kagaba, ndlr) lancer un cri d’alerte sur ce qu’il se passait sans la Sierra Nevada, et témoigner de l’envie de commencer à faire passer un message. J’ai senti que, peut-être, ils seraient intéressés par le fait d’enregistrer des chansons, chose qui n’avait jamais été faite. Pour ce faire, j’ai contacté l’association Nativa. Franz K. Florez, membre de l’association, est un vétérinaire qui travaille avec ce peuple depuis quinze ans et s’intéresse initialement au tapir, animal clef de leur écosystème. Ils se sont rencontrés sur ce thème et une confiance mutuelle s’est installée, laissant progressivement place à l’amitié. Avec Nativa, Franz s’occupe de récupérer les terres des Kagabas, d’y replanter des arbres. Les Kagabas se font chasser de leurs terres car ils n’ont pas de titre de propriété, leur société étant basée sur l’oralité. Lorsque j’ai parlé d’enregistrement à Franz, je n’avais pas d’idée préconçue en tête, ne sachant pas ce qu’ils auraient envie de partager. Ma volonté était de suivre ce qu’ils avaient envie de dire.   Comment s’est passée ta rencontre avec les Kagabas ? Ils ont accepté ma présence sous certaines conditions. Je ne pouvais pas rester plus de sept jours, pour ne pas perturber leur équilibre : ils vivent en autarcie et gèrent leurs frontières, les personnes extérieures ne sont pas acceptées. Ma venue a été autorisée pour l’enregistrement de chansons spécifiques du Máma ; le chant est un élément clef et central de leur culture, c’est ce qui leur permet de transmettre la connaissance. Le message qu’ils souhaitaient faire passer par ces chants tenait à une peur des changements climatiques et de la perte de connaissance par les nouvelles générations, à partir du moment où tout est mémoire. Lorsque je suis arrivé là bas, j’ai donc suivi ce qu’ils avaient envie de transmettre, et comment ils en avaient envie.  
« Je ne pouvais pas rester plus de sept jours, pour ne pas perturber leur équilibre »
  Tu as donc enregistré et filmé seul tous les sons et images de l’album ? Oui, j’ai enregistré tous les sons. Pour l’image, j’ai filmé certaines vidéos projetées pendant le live ; d’autres vidéos m’ont été envoyées dans un second temps par Nativa, qui soutient totalement mon projet. Ils m’ont également envoyé des photos pour l’exposition (lors du concert au GMEM, une exposition photographique habillait les murs du module, ndlr).   Partant de ces captations, quel a été ton processus de composition ? Je suis rentré à Marseille avec tous ces enregistrements sonores et j’ai essayé de raconter une histoire via les sept morceaux de mon album ; de créer un lien, d’amener une petite touche subtilement personnelle en m’efforçant de garder les chants intacts. J’ai ensuite envoyé ce travail à Franz pour que les Kagabas valident la version finale de l’album et sa sortie. C’est d’ailleurs ce que l’on peut entendre au début de mon live ; ils m’ont envoyé une vidéo pour témoigner eux-mêmes de l’importance de cet album et du sens que ces chansons ont pour eux. Ils me disent que je suis un des leurs et qu’ils me font confiance sur ce projet. J’ai donc une responsabilité par rapport à ça ! Ils ont également souhaité par cette vidéo réponse évoquer la problématique des mines de quartz qui représente un réel enjeu économique dans la course aux matières premières. De cet enjeu découle une menace d’être à nouveau chassés de leurs terres. J’ai, de par mon travail avec eux, un devoir d’authenticité dans la retransmission du message. Ce n’est pas mon expérience personnelle ni une mise en avant de mon travail qui est important, ça, on s’en fout ! Ce qui est intéressant, c’est de retranscrire leur histoire via ma sensibilité et mon expérience de musicien.  
« J’ai, de par mon travail avec eux, un devoir d’authenticité dans la retransmission du message »
  Sur scène, tu enregistres et loopes des instruments originaires de Colombie. Peux-tu nous parler de cette envie ? J’ai trouvé intéressant de reprendre certains instruments à inclure dans le direct. Pendant mes enregistrements, certaines percussions de morceaux de bois et autres interventions organiques étaient jouées, j’ai donc voulu reprendre cette essence là et retrouver les sons de l’album en direct. Je ne sais pas si ça a marché ! (rires)   D’ailleurs, comment t’es tu senti pendant ce live, avec un nouveau projet à jouer et après tout ce temps passé sans te produire devant un public ? La dernière fois que j’ai joué devant un « vrai » public, c’était au Mucem pour le festival Actoral en back to back avec Moesha 13 en octobre 2020. Depuis la sortie de l’album il y a un mois, c’est la première fois que je peux jouer mon live devant un public (de professionnels, ndlr). Il y a eu de très belles réponses autour de l’album, mais l’impossibilité de le jouer est une frustration. Il y a donc un décalage retours / concerts très fort. Je suis assez content de ce premier live et de ce qu’on a réussi à faire, malgré le fait que notre ingénieur lumière ait eu un problème de santé dix minutes avant le concert ! Ce n’était donc pas « parfait » et ça m’a mis un bon coup de stress, mais musicalement, je suis très content de ce live, qui correspond à mon idée initiale.  
« Il y a eu de très belles réponses autour de l’album, mais l’impossibilité de le jouer est une frustration »
  La configuration était particulière, avec un public assis au sol dans le dôme du GMEM, et distancié. Le résultat est lunaire, et le concert tient de l’expérience transcendantale. Aurais tu imaginé une telle configuration hors covid, et la garderas-tu ainsi lorsque ce virus sera derrière nous ? Dès le début, ce live a été pensé pour que le public et moi-même ayons un contact avec le sol. Si le contexte le permet, nous rejouerons ce concert ici en septembre avec du public, mais toujours en petite jauge pour créer un côté intimiste et immersif. Ce live n’a jamais été pensé pour des grandes foules. Nous étions trente aujourd’hui, nous serions cinquante au maximum sur le même dispositif dans un avenir déconfiné, en imaginant plusieurs représentations de suite. Dans des salles plus grandes, nous pourrions monter à un public d’une centaine de personnes, mais il est important de ne pas atteindre de trop grandes capacités.   Sur ce nouveau projet, Lion's Drums, le style est très éloigné de ce que tu fais sous le pseudo Abstraxion, entre autres, et que le public connaît de toi. As-tu voulu marquer une rupture, une évolution, via ce changement de nom ? Il y a bien sur quelque chose de très spécifique dans la façon dont nous avons pensé ce live, dont j’ai travaillé cet album. D’autres choses sortiront sous ce nom, dans des contextes différents. Kagabas est une création à mi-chemin entre l’exposition et la musique contemporaine. Je trouve intéressant de servir le propos à travers ce mélange d’esthétiques.   Est-ce que ce projet immersif t’a donné envie de reproduire l’expérience, avec d’autres populations, ou sur d’autres sujets ? Peut-être. Je ne sais pas. Ce projet s’est fait grâce à une connexion particulière, mais il est certain que les aspects d’enregistrement de la nature et de captations d’essences me plaisent beaucoup. De la même façon, j’aimerais réitérer l’expérience de la retransmission. Un autre album sortira dans un futur proche, qui part d’un travail de composition mêlant une mise en musique des travaux d’enregistrement de voyages ou de rencontres de certains compositeurs des années 80 et 90 à ma musique. C’est finalement une sorte de suite à l’album Kagabas.   En 2021, as-tu prévu des concerts sous tes deux pseudos ? Ces deux projets sont complémentaires. J’aime l’idée que Lion’s Drums soit plus lié au solaire, à des substances naturelles, organiques, alors que mes dernières productions avec Abstraxion sont assez sombres et froides, plutôt techno, new wave, cold wave. Elles feront d’ailleurs l’objet d’un album dont je ne peux pas encore parler.   L’an dernier, tu avais imaginé un festival avec le Laboratoire des Possibles : le Encore Encore, qui aurait dû voir le jour à Correns à la fin de l’été 2020. Y aura-t-il une édition 2021 ? Nous avons été très déçus de ne pouvoir maintenir cet événement. Comme pour beaucoup, nous avons ressenti la frustration de travailler sur un projet qui tombe à l’eau. Il est difficile de retrouver l’énergie de repartir sur autre chose après ces heures de travail inutiles. On se projette sur une forme plus « safe », qui aura plus de chances d’avoir lieu. Cette formule aurait lieu les 10 et 11 juillet, toujours à Correns, mais sous une forme hybride, pour ne pas subir l’aspect « assis ». Nous pensons créer des petits groupes de cinquante ou cent personnes pour différents modules : une balade sonore, une pétanque ou un football électroniques, plein de choses qui nous permettraient de profiter de la musique en restant actifs et en s’amusant. Aujourd’hui, on doit créer des « bulles sanitaires », comme ça. En mai, je vais jouer pour le festival Paradise Down by the Lake à Gand, en Belgique, et le public sera réparti sur plein de radeaux de huit personnes maximum, qui se connaissent, sans interaction entre les radeaux ! C’est un autre exemple de format hybride, qui permet de jouer dans le contexte sanitaire actuel.  
« Cette année, on se projette sur une forme plus “safe” du Encore Encore, qui permettrait aux participants de profiter de la musique sans être assis »
  D’ailleurs, quelle est ton opinion sur la gestion de la crise sanitaire par l’État ? C’est un mépris complet. Pas uniquement d’un point de vue culturel, mais aussi en ce qui concerne l’éducation, la santé, etc. On parle souvent d’oubli quant à la culture, mais c’est tout ce qui crée le lien entre les humains qui est attaqué. Dans la culture en elle-même, notamment dans le milieu de la musique électronique, on sera les derniers à rouvrir. Nous sommes tout autant essentiels que certains commerces, si ce n’est plus. Les mesures de fermeture n’ont donc aucune justification. Si nous n’avons pas de moyens de pression monétaires, nous ne sommes pas écoutés !  

Propos recueillis par Lucie Ponthieux Bertram

    Pour en (sa)voir plus : https://www.lionsdrums.com/ ; https://lionsdrums.bandcamp.com/   Les bénéfices de cet album seront reversés à l’organisation Nativa pour soutenir son combat pour la reforestation et la restitution des terres.   Site du festival Paradise Down by the Lake : https://www.paradisedownbythelake.be/