Bérangère Maximin - Îles
Sous la forme d’un parcours dynamique, les oeuvres présentées lors de ce concert se propagent dans l’espace, dans une continuité narrative proche d’une musique de drone avec un accent cinématique.
Comme un flux continu, la musique s’explore d’abord dans un développement qui semble assez statique, pour se remplir progressivement d’une sorte d’énergie forte, presque sourde.
Des invités viennent clore chacun des trois chapitres du concert, comme un appel d’air vers l’extérieur, en toute amitié : Chuck Bettis, Simon Whetham et enfin Terre Thaemlitz.
Férue de post-punk, de rock, de dub, d’électronica et même de pop, Bérangère Maximin est aussi influencée par des compositeur·rice·s comme François Bayle, Luc Ferrari, Eliane Radigue et la scène électronique glitch. Elle manifeste un goût pour le mélange de sons hétérogènes avec un sens du détail et révèle une écriture sonore nuancée et dynamique, souvent par la répétition de petits fragments de sons et l’inclusion par transparence de la voix et de divers objets sonores. Elle façonne ainsi des sons taillés, customisés, agrémentés de strates de field recording, créant des environnements sonores texturés tout en cultivant l’ambivalence des sons fixés sur support et leur totale indépendance de leurs sources.
Sydney Koke - Rhythm Bending
"Pour moi, la musique expérimentale consiste à essayer d'élargir l'espace psychologique qui existe entre la détection du signal et la confusion du bruit, entre la compréhension et le mystère."
Au cours d'une résidence au GMEM, Sydney Koke a composé des pistes audio. Utilisées dans une performance semi-improvisée en direct, dans un environnement sonore multi-aural, son intention est de faciliter une expérience psychologique unique, créée par les interactions entre la performeuse, les technicien·ne·s, les curateur·rice·s et les membres du public.
En expérimentant avec l'incertitude, la spatialité et le rythme, ainsi qu'en réagissant aux sons et aux événements dans l'espace de performance, son but est de générer un environnement intime et immersif qui repousse les limites des modèles musicaux et des attentes, et offre une expression d'expérimentation sincère et non dissimulée.
Elle s'inspire des premières expérimentations électroniques de musicien·ne·s tels que Cabaret Voltaire, This Heat, Throbbing Gristle et Ruth White, inévitablement filtrées par son expérience de vie.
« Je veux créer un engouement autour de la nouveauté […] Propagations est un festival d’expérimentations »Vous parlez beaucoup de la « fonction sociale » de la création. Expliquez-nous. J’entends par là que nous sommes un Centre national de création musicale, et cela fait partie de notre mission de permettre la création artistique au sens le plus large possible, tout en soutenant l’émergence. Cela touche aux questions politiques, et puis on se doit d’inventer des manières de partager avec le plus large public possible. Par exemple, on propose une journée festivalière au Couvent Levat. Cette notion de public est délicate, et me déplaît, car elle sous-tend qu’il y a une proposition d’un côté et des consommateurs de l’autre. Le rapport à la création est selon moi plus complexe que ça ; la barrière entre les pratiques et l’écoutant est plutôt un partage, c’est ça qui m’intéresse, et non pas d’organiser des concerts où les gens prennent leur petit billet et consomment. Je veux créer un engouement autour de la nouveauté. On voit bien la difficulté actuelle de défendre la création : on nous accuse de ne pas être concernés par le public, or nos ennemis sont les réseaux sociaux, qui réduisent l’éventail esthétique. L’objet aussi — le téléphone — réduit la bande de fréquence possible, et dans lequel tout est fait avec des compresseurs pour arriver à une écoute qui devient très réduite. Dans notre mission de service public, j’essaye de faire en sorte que la rencontre de la nouveauté, de l’inconnu, de l’étrange soit toujours possible, ou du moins encouragée. Donc, Propagations est un festival d’expérimentation. Comment cette relation musicien/auditeur se traduit-elle au niveau de la programmation ? Eh bien, par exemple, nous allons ouvrir avec Sonord, projet que nous menons depuis trois ans autour de l’hôpital Nord, qui a donné lieu à des travaux avec les patients et soignants sur le son. Nous avons travaillé avec les autours de l’hôpital, qui comportent des écoles, une prison, une piste d’hélicoptère, des commerces et restaurants, des coiffeurs… C’est une petite ville dans la ville ! Un travail de captation sonore a été effectué. Parce que la diffusion était compliquée, nous avons créé une sorte de chariot depuis lequel il était possible de faire de la musique, lire des textes, le tout diffusé dans des casques. Le public pouvait ainsi écouter un concert ou participer à un atelier court, et cela a donné lieu à des créations avec des écoles, une maison de retraite, le personnel, etc. On fera une présentation finale d’une sorte de composition de tous ces travaux avec Sébastien Béranger, Raphaële Dupire et Pierre Pulisciano, compositeurs concernés par ce projet. On fera également un concert appelé Émergence, à la fin du festival, qui sera encadré par deux jeunes compositrices : Bérangère Maximin qui, accompagnée des classes du Conservatoire et de la Cité de la Musique, donnera un concert de deux heures (Îles) ; puis le travail plutôt ambient / rythmé de la musicienne compositrice Sydney Koke, diffusé sur un acousmonium (un orchestre de hauts-parleurs). Ainsi, notre souhait est de toujours provoquer de la rencontre qui a pour sujet une nouvelle piste d’expérimentation. Notre projet s’étend un peu partout dans Marseille : le partenariat est aussi une forme de rencontre et d’expérience. Nous serons à la Criée, au Zef, au Couvent Levat, au FRAC… On veut être un centre de ressources pour ceux qui veulent, à un moment, s’adonner à la création sonore. Vous semblez attaché à la notion de « performance »… Le terme assez nouveau de « performance » m’amuse assez parce qu’il vient de l’anglais. Nous, nous appelons ça le « spectacle vivant ». Sur ce thème, nous ouvrons avec deux beaux spectacles : La Ralentie de Pierre Jodlowski à la Criée, qui interroge depuis toujours le rapport au plateau, la musique sur scène, la lumière, la vidéo, la mise en scène, la direction d’acteurs etc. Puis, le Quatuor Béla et Wilhem Latchoumia avec Barbarie, un spectacle autour d’un piano, d’un quatuor à cordes et d’instruments mécaniques : orgue de barbarie, piano pneumatique, boîtes à musique… Sur le même thème, Tesla, de Hervé Birolini et François Donato, est un travail sur les bobines Tesla, ou bien Auscúltare, de Bertrand Wolff, pièce pour deux voix et haut-parleurs directionnels mécanisés, ou bien Ève Risser avec l’orchestre La Sourde, mélange de jazz, de musique baroque et de musique improvisée. J’aimerais citer également La Rose des Vents, expérience particulière puisque l’artiste cuisinier Emmanuel Perrodin prépare une bouillabaisse pendant que Noémi Boutin joue du violoncelle. Ce qui est très beau, c’est que pour l’histoire, la bouillabaisse est un plat populaire qui avait le goût des vents : selon les vents, les poissons de roches étaient différents. Cela donne une dimension intellectuelle forte à ce projet, plus subtile que ce que l’on pourrait imaginer sur le papier.
Propos recueillis par Lucie Ponthieux Bertram