Khorma (V.O.)

Drame de Jilani Saadi (France/Belgique/Tunisie - 2003 - 1h20), avec Med Graya, Med Mourali... Projection en présence du réalisateur

À Bizerte, petite ville de Tunisie, Khorma est un jeune orphelin qui détonne par la rousseur de ses cheveux et la blancheur de sa peau. Il vit sous la protection du vieux Bou Khaleb qui lui transmet les secrets de son métier de colporteur de nouvelles et de prieur pour les morts. Les choses changent quand Bou Khaleb, devenu peu à peu sourd, commet une grave erreur : il annonce la mort d'une femme du quartier au lieu d'annoncer le mariage de sa fille. Catastrophe ! Pire encore, le sort s'acharne sur le vieux colporteur de nouvelles puisque, trois jours plus tard, la pauvre femme meurt une deuxième fois, mais cette fois pour de vrai ! Tout le monde accuse alors Bou Khaleb de porter malheur. Il faut s'en débarrasser au plus vite ! Faute d'autres candidats, Hadj Khalifa, le sage du quartier, impose Khorma comme successeur de Bou Khaleb...

 

Le Polygone étoilé est heureux d'accueillir cette année Jilani Saadi en résidence  pour la post-production de son dernier film, Bidoun 4 (le Polygone avait soutenu l’étalonnage et le mixage de Bidoun 3). Et ainsi de projeter deux de ses longs métrages parmi la dizaine qu'il a fait. L’un, Khorma, réalisé dans des conditions à peu près “normales” de production et l’autre fait "sans", Bidoun, "sans argent, sans machinerie et sans autorisation de tournage", à la sauvage ?

Il est rare de voir en France les films de Jilani Saadi. Trop rares, ces blocs de poésie brute et de critique acérée et drôle… Est-ce le fait que Jilani fabrique des longs métrages de fiction sans financement et que les professionnels de la profession n'aiment pas cela ? On pense alors à Eustache et son Numéro Zéro. Ou parce qu'il affirme l’influence du cinéma néo-réaliste italien dans son cinéma et qu’à notre époque, parler des classes populaires tel que l'écrivain Albert Cossery le faisait, ça dérange ?

On vous invite à en parler avec l'auteur ces deux soirées d'octobre.

Polygone Étoilé
Le samedi 1 octobre 2022 à 19h30
Entrée libre
www.polygone-etoile.com
1 rue Massabo
13002 Marseille
09 67 50 58 23

Article paru le mercredi 28 septembre 2022 dans Ventilo n° 469

Jilani Saadi au Polygone Étoilé

Marge brute

 

Jilani Saadi est l’un des cinéastes tunisiens les plus passionnants, à l’œuvre filmique emplie d’une énergie intelligemment orchestrée au service d’une réelle pensée de l’image en mouvement. À l’occasion de l’invitation faite par l’équipe du Polygone Étoilé / Film Flamme au cinéaste pour achever la fabrication de son dernier opus, un week-end de projections nous est proposé afin de découvrir son œuvre

    Finalement, que retenons-nous du cinéma et de son histoire ? Au-delà des grandes pages d’une industrie, écrasées par leur poids référentiel, s’étendent toutes celles, d’histoires, que l’on nous cache encore, et que les années, si l’on y met la curiosité nécessaire, nous permettent d’exhumer. L’histoire des films fauchés, des cinéastes pour qui la seule richesse matérielle, armés cependant de leur génie, se limitait à quelques mètres de pellicules glanées ou le trésor d’une caméra prêtée. Or, le cynisme de cette industrie anthropophage s’accomplit pleinement lorsque l’on constate à quel point certains cinéastes ayant peiné à réaliser leurs œuvres ont pu en inspirer tant d’autres. À l’heure où tout un système se retrouve fortement ébranlé — et l’on se surprend finalement à trouver cela heureux —, les gestes cinématographiques de créateurs et de créatrices souvent ignoré·e·s par une industrie qui les méprise apparaissent aujourd’hui comme les axes d’une révolution à venir, dans la manière de fabriquer les œuvres, ou de les montrer. Le Polygone Étoilé, à Marseille, a depuis longtemps parfaitement compris ces enjeux, et s’est placé à cet endroit exact où le cinéma continuait coûte que coûte de vivre, d’exister, d’inventer. Dont acte avec l’accueil fait à l’immense cinéaste tunisien Jilani Saadi, que la structure invite en résidence pour la post-production de son dernier opus Bidoun 4, et qui nous offre l’occasion, les samedi 1er et dimanche 2 octobre, de découvrir les deux films Khorma et Bidoun 3. Jilani Saadi est l’un des moins connus des cinéastes tunisiens, mais il en demeure l’un des plus passionnants. Des plus intelligents, également, doté d’un regard acéré sur les êtres et ce qui fait société. Natif de Bizerte, autour de laquelle il tournera une partie de ses œuvres, Jilani Saadi aime citer Monteiro ou Buñuel, dans l’accompagnement du geste cinématographique. L’équipe d’Image de Ville l’avait invité voilà quelques années dans la cité phocéenne et ses alentours — à Port-de-Bouc, plus précisément, pour la séance de l’excellent Winou Baba — et voici aujourd’hui une rencontre qu’il ne faudrait nullement manquer. Avec Khorma, opus de 2002, la métamorphose du personnage, toujours aux frontières de l’absurde, révèle la noire profondeur de la société tunisienne ; avec Bidoun 3, Jilani Saadi nous convainc que derrière le mirage d’une œuvre chaotique se dessine une trajectoire très précise, malgré les improvisations, une trajectoire pensée, mais surtout ressentie. Un cinéma libre ? Plus que cela, libéré du pire, que nous aurons une chance supplémentaire de découvrir dans la cité phocéenne, chance à ne point laisser passer.  

Emmanuel Vigne

 

Jilani Saadi : les 1er & 2/10 au Polygone Étoilé (1 rue Massabo, 2e).

Rens. : www.polygone-etoile.com