Hanna Bervoets - Les Choses que nous avons vues

Recotre avec l'autrice autour de son livre paru chez Le Bruit du Monde, et lecture par Anna Mouglalis. 

Avec Hanna Bervoets.
Lecture par Anna Mouglalis.
Rencontre animée par Élodie Karaki et traduite de l’anglais par Valentine Leÿs.

 

Parmi les nombreux métiers qu’ont fait naître la révolution numérique, il en est un, invisible, qui constitue sans doute l’un des meilleurs postes d’observation des dérives de ce monde globalisé. L’héroïne du dernier roman d’Hanna Bervoets est modératrice de contenus. Derrière ce titre
aux apparences lisses, se cache une réalité beaucoup plus terrifiante. Kailegh est chargée de nettoyer le web de ses contenus illicites : violence, pornographie, délires complotistes… Comment faire la part des choses et établir les justes critères entre ce qu’il faut garder et ce qu’il faut détruire ? Où finit la normalité et où commence l’insupportable ? Vidéos nazies, suicides en direct, animaux maltraités, pour ces travailleurs de l’ombre, tout défile dans un abime vertigineux, sans qu’un quelconque suivi psychologique leur soit proposé. À l’avocat qui la contacte pour lui demander de s’associer à une plainte collective contre la plateforme Internet qui l’a recrutée, Kailegh décrit avec une froideur glaçante « les choses qu’elle a vues »…
Le roman d’Hanna Bervoets est aussi une histoire d’amour, celle de Kailegh et de Sigrid, l’une de ses collègues modératrices. Car peut-on encore aimer et voir le beau quand on plonge ainsi chaque jour au cœur des ténèbres et qu’il devient impossible de penser le monde autrement que sous le prisme de sa laideur ?

C’est la talentueuse Anna Mouglalis, elle-même grande lectrice de romans, qui fera entendre ce texte sur la scène de La Criée. Sa lecture sera suivie d’un entretien avec Hanna Bervoets, venue des Pays-Bas, journaliste et écrivaine confirmée dans son pays, que l’on découvre enfin en France avec la publication de ce roman à la fois troublant et instructif, aux prises avec notre monde.

TNM La Criée
Le mercredi 25 mai 2022 à 19h
Entrée libre
http://ohlesbeauxjours.fr/
30 quai de Rive Neuve
13007 Marseille
04 91 54 70 54

Article paru le mercredi 11 mai 2022 dans Ventilo n° 464

Festival Oh les beaux jours !

Lettres capitales

   

Passer la littérature à la râpe du réel ; la frotter à ses pairs, les autres formes artistiques de narration, ou à ses pères, les écrivains et écrivaines qui lui donnent vie et forme… C’est le programme que se donne chaque printemps le festival de littérature Oh les beaux jours !. Cette année, de nouvelles « frictions littéraires » sont à prévoir entre le 24 et le 29 mai. Un corps à corps qui s’annonce passionnant, dans lequel pas moins de quatre-vingt-dix invités se retrouveront pour échanger tout au long des cinquante et un événements prévus au programme.

    Multiforme, le dispositif du festival s’autorise une large arborescence de formats : rencontres, grands entretiens, lectures sur scène, projections, performances, concerts dessinés, lectures musicales, conférences-spectacles, interventions dans l’espace public, séances de signature, ateliers participatifs… Pas de littérature en vase clos. Pas de soliloque de l’écrivain. En faisant varier les points de vue et s’entremêler les arts, l’opération consiste à rendre au champ littéraire toute sa puissance plastique. Artistes et auteurs seront ainsi amenés à mettre en contact leurs œuvres, leurs pratiques et leur rapport au monde. Une programmation foisonnante dont les multiples ramifications s’empareront de cinq lieux de culture emblématiques de la ville : le Mucem, la Criée, le Conservatoire Pierre Barbizet, le Musée d’Histoire de Marseille, et la bibliothèque de l’Alcazar. Côté contenu, le festival s’est doté de huit thématiques ; chacune d’entre elles tentant d’approcher un nœud frictionnel du maillage littéraire contemporain. Or, un coup d’œil à la titrologie suffit pour comprendre que la littérature d’aujourd’hui s’inscrit de plain-pied dans un réel en crise. Nombre d’auteurs évoqueront un monde à la dérive, entre climat déréglé, inégalités sociales, drames familiaux, guerres et illusions perdues… Des sujets graves qui tranchent âprement avec l’optimisme affiché d’une exclamative telle que Oh les beaux jours !. La même dissonance avait été constatée lors de la parution de la pièce éponyme de Beckett, en 1961. Les logorrhées teintées d’angoisses existentielles du personnage de Winnie, sa situation pour le moins inconfortable — sur scène, elle est enlisée jusqu’à la taille, puis jusqu’au cou, sous un monticule de terre —, jurait avec le titre de la pièce. Pourtant, à bien y regarder, la Winnie de Beckett s’acharne bien plus qu’elle ne se lamente : elle se sert d’une parole conative, dont le but est de faire agir, réagir son destinataire. À l’instar de la pièce de Beckett, l’une des thématiques proposées par le festival explore « ce que peut la littérature ». Or, en tant que tentative de saisie du monde par un outillage langagier sophistiqué, on peut imaginer qu’elle ait un véritable pouvoir : celui de transformer le rapport sous lequel on perçoit le réel, et donc, celui de changer l’usage qu’on en fait. Le personnage de Beckett se demande ce qu’elle ferait si les mots « la lâchaient ». La même question se pose pour la littérature. Mais tant que les mots et la mise en mots littéraire subsistent, nous avons encore toutes les raisons de parler des beaux jours.  

Gaëlle Desnos

 

Festival Oh les beaux jours ! : du 24 au 29/05 à Marseille.

Rens. : https://ohlesbeauxjours.fr

Le programme du festival Oh les beaux jours ici