Péter le cube

Performance entre plateau et vidéo d'après Good Boy d'Antoine Charbonneau-Demers (1h). Conception : César Vayssié. Avec Alix Boillot et Pursy De Médicis 

Dans Good Boy, l’auteur canadien Antoine Charbonneau-Demers suit l’émancipation sexuelle d’un candide provincial fraichement débarqué du giron maternel. Il se donne alors corps et âme au jeu des rencontres sur application : tantôt pitoyables, tendres, grisantes, voire violentes. Le récit d’initiation sort parfois de son rail au gré de pics de paranoïa ou de solitude, et autres hallucinations : des toiles de Modigliani, des apparitions de Rihanna, un chat suiveur… 
Metteur en scène porté sur les croisements entre plateau et vidéo, César Vayssié transpose ce journal moderne dans un dispositif où se confrontent identités virtuelles et physiques. Péter le Cube se fixe sur les modes de représentations qu’engage la drague en ligne, de l’auto-fiction à la mise en scène de soi, et sur le vertige du passage entre virtuel et réalité, fantasme et passage à l’acte. Sur scène se produisent deux figures, l’actrice Alix Boillot et le performeur queer Purcy de Medicis, dont les corps se perdent dans leurs doubles digitaux, et tout un chaos de références post-internet. À l’irréalité du petit cosmos que composent selfies et communication en ligne, s’oppose la bulle, physique celle-ci, du "kinesphère" théorisé par le chercheur-danseur Rudolf Laban, déterminée par l’extension maximale des bras et des jambes, délimitant ainsi le périmètre d’action du danseur. À cette frontière, d’autres se superposent : celle entre le réel et le désir, entre les échanges immatériels en ligne et la fragilité des corps en présence, mais aussi celle de ce "cube" — personnel, mental, social — qu’il faudrait instamment faire "péter". 
 

 

Conception César Vayssié avec Alix Boillot et Pursy De Médicis et des extraits du roman GOOD BOY d'Antoine Charbonneau-Demers (VLB éditeur / Arthaud) ainsi que des images et des sons disponibles sur internet Collaboration artistique Bérénice Barbillat

Montévidéo
Les 30 sept. et 1 oct. : 20h
8/16 €
www.actoral.org
3 impasse Montévidéo
13006 Marseille
04 91 37 97 35

Article paru le mercredi 14 septembre 2022 dans Ventilo n° 468

Festival Actoral à Marseille et Aix-en-Provence

Des paroles et des actes

 

Après une délicieuse mise en bouche au Mucem le week-end dernier, Actoral s’apprête à lancer sa vingt-deuxième édition, soit trois semaines de « géographie artistique », selon les mots de son directeur Hubert Colas, consacrées aux nouvelles écritures contemporaines.

Cette année, cette « mise en alerte de nos désirs » se déploiera de Montévidéo jusqu’au 3bisF à Aix-en-Provence, en passant par la Criée, la Friche la Belle de Mai ou le Ballet National de Marseille.

    « Il y a eu ces mots : “Cela ne sera plus jamais comme avant” et qu’est-ce que nous voyons, qu’est-ce que les artistes perçoivent et désirent partager avec vous ? Et vous avec eux ? Aujourd’hui ? » Ainsi Hubert Colas résume-t-il dans son édito les grandes lignes du festival, dont la programmation s’avère cette année particulièrement riche et éclectique. Tout en soutenant la montée en puissance de certains artistes, déjà programmés lors des éditions précédentes, ce cru 2022 fait aussi la part belle aux créations. Plus que jamais, il s’agit de saisir l’urgence des grands débats sociétaux, de s’en imprégner pour les restituer, liant ainsi intime et politique. Mise à feu le week-end dernier sous le signe de l’ouverture avec la Pièce Distinguée N°55 - Amore Mio de La Ribot, qui interroge la place du corps en relation avec une ville et son environnement. Cette performance, déjà effectuée à Rome, a fait escale à Marseille sur la place d’armes du Fort Saint Jean pour jouer avec la lumière du soleil jusqu’à l’obscurité. C’est au Mucem également que Marcus Lindeen a présenté la première partie de sa Trilogie des Identités, Wild Minds. En mettant au centre de sa création des histoires venant du réel, l’artiste « pointe du doigt des fractures qui existent dans notre société et les transforme ainsi en récit sensible complexe et politique », explique Hubert Colas. Cette mise à feu a également fait la part belle à la musique avec notamment le concert de Franky Gogo, qui nous promettait « l’expérience d’un dérèglement de tous les sens » et le DJ set de Diane, militante trans, plasticienne et cinéaste. La programmation reprend le 20 septembre, toujours dans l’urgence de confronter les questionnements intimes au miroir de la société. Pour Hubert Colas, les artistes en présence sont porteurs d’une « contestation douce » qui permet de constater nos différences et de s’interroger sur leur pourquoi. Cette reprise s’effectue notamment à la Criée avec une artiste confirmée, Miet Warlop, qui reprend une de ses pièces de jeunesse, One Song, conçue sous le coup du deuil de son frère, qui puise dans la force de la prouesse sportive pour atteindre un geste élémentaire, celui de l’effort collectif (les 20 & 21/09). « Il s’agit d’un spectacle performatif très énergisant », confirme Hubert Colas. Le week-end des 23 et 24 septembre s’annonce particulièrement riche : le Ballet National de Marseille accueille la chorégraphe Cherish Menzo et son spectacle-manifeste DarkMatter qui interroge la place du corps noir dans les dystopies occupant nos imaginaires. À Montevideo, on pourra voir le solo d’une artiste émergente, Soa Ratsifandrihana, sobrement intitulé Gr oo ve, tandis que le Théâtre des Bernardines sera le cadre de la performance-projection de quatre heures, Seek Bromance de Samira Elagoz, l’histoire de sa rencontre amoureuse avec un artiste brésilien qui effectue également sa transition de femme à homme. À noter la présence de Jeanne Balibar à la Criée (les 24 & 25/09), pour son premier seul en scène, Les Historiennes. Elle y évoquera le destin de trois femmes que « les mémoires n’ont pas forcément retenues à leur juste valeur » : l’esclave angolaise Páscoa Vieira, la Française Violette Nozière, « condamnée dans les années 1930 pour le meurtre de son père qu’elle accusait d’inceste », et Delphine Seyrig, l’inoubliable fée du Peau d’âne de Jacques Demy vue dans les films de Truffaut et Resnais, « dont la virulence des revendications lui a sans doute coûté en notoriété. » Déjà reçue en résidence à Montévidéo, Yasmine Yahiatene y confronte à nouveau l’intime et le politique dans La Fracture, qui nous décrit le destin d’Ahmed, « dommage collatéral d’une mémoire franco-algérienne qui a effacé voire écrasé bien des pères introvertis comme lui. » Au 3BisF, à Aix-en-Provence, Anne-Sophie Turion nous propose pour sa part « un seul en scène low tech suspendu dans un espace-temps fantasque. » (les 27 & 28/09). Le Théâtre Toursky sera le cadre de la pièce de Mercedes Dassy Ruuptuur, dans laquelle des danseuses adolescentes seront transformées en centaures-robots, le corps augmenté d’imposantes prothèses chevalines, le tout sur une bande-son RnB, dancehalll et tech-hardcore (les 1er & 2/10). À la Friche Belle de Mai, on pourra assister les 4 et 5 octobre à une création Actoral 2022, avec Merge de Liam Warren, aperçu chez Angelin Preljocaj. Le mardi 4, à l’IMMS (bâtiment de l’ERACM sis à la Friche), 8 ensemble de Pascal Rambert se fait fort de « prendre huit corps éloignés, ouvrir la parole et les amener aux yeux du monde. » Lauréate du Grand Prix de Rome, Sophie Perez investit le plateau de la Criée du 5 au 7 octobre avec La Meringue du souterrain, « un théâtre de pirates, d’esprits rebelles, de désobéissants, de comiques absolus, d’insolents. » Au Théâtre des Calanques, Romeo Castellucci, absent des scènes marseillaises depuis des années, nous propose une performance extrême : The Third Reich, expérience de vidéo performative puissante et dérangeante les 7 et 8 octobre. Enfin, la Friche accueillera les 8 et le 9 Le Périmètre de Denver, une création 2022 de Vimala Pons, une performance qui se déroule sous la forme d’une enquête policière, en clôture du festival. Actoral, ce sont également des lectures, essentiellement à Montévidéo, comme celle de Tournevis d’Oscar Coop Phane (le 23/09), de Hommes d’Emmanuelle Richard qui revisite « la relation trouble qui a lié la narratrice à un agresseur sexuel » (le 23/09), de Un singe à ma fenêtre d’Olivia Rosenthal (le 24/09), de Vivance de David Lopez (le 5/10), de Brûler, brûler, brûler de Lisette Lombé, écriture féministe incandescente (le 27/09)... À noter également, Partout le feu d’Hélène Laurain, ou la mise en lecture par Hubert Colas d’une langue orale très brute, jetée par l’autrice sur son téléphone portable pour aborder des problématiques sociétales (le 24/09 à la Cômerie). « Hors les murs », au Théâtre Joliette, Sonia Chiambretto, que l’on ne présente plus, mettra en lecture son ouvrage Tu me loves ? réalisé en collaboration avec la photographe Marion Poussier le jeudi 6 octobre, tandis qu’Emmanuelle Bayamack-Tam lira des extraits de son nouveau roman, La Treizième Heure, à la librairie Mazette le 8 octobre. À noter que Actoral poursuit son partenariat avec Radio Grenouille. En effet, Radio Actoral fait partie intégrante de la manifestation depuis deux éditions en déployant toute une programmation à retrouver sur www.radio.actoral.org. Placée sous le signe de la continuité et de l’ouverture, cette vingt-deuxième édition réussit également le pari, comme chaque année, de fédérer sur le territoire de nombreuses structures artistiques qui se mettent au service des nouvelles écritures contemporaines. Gageons que le public marseillais aussi curieux que connaisseur répondra présent à cette belle invitation.  

Isabelle Rainaldi

 

Festival Actoral : jusqu’au 9/10 à Marseille et Aix-en-Provence.

Rens. : www.actoral.org

Le programme complet du festival Actoral ici