L'Uruguayen

Création par la Cie Pirenopolis d'après le texte de Copi (1h40). Mise en scène : Christophe Chave. Projet et interprétation : Stephan Pastor

L'article Ventilo : https://www.journalventilo.fr/l-uruguayen-par-la-cie-pirenopolis/

 

C’est un texte à tiroirs truffé de codes à déchiffrer. La sensation qui s’en dégage est extrêmement vive, comme si de terribles secrets sous-jacents ne pouvaient être livrés que par le retournement des récits. De ce processus d’écriture naît un humour acerbe, corrosif et implacable. Il faut pouvoir délivrer le rire car une étrange amertume laissera sa marque dans les esprits.

C’est une lettre qui s’écrit dans la chair.

Lui, l’auteur, est en exil en Uruguay. Il adresse sa lettre à un certain « maître », visiblement resté en France. De son mentor, son amant ou son double, rien n’est dit.

On peut pressentir que Copi s’adresse symboliquement à une autre part de lui même. Dans la réalité, il est lui même exilé en France lors de l’instauration des dictatures en Amérique latine. On peut ainsi imaginer qu’il crée un avatar immuable et intouchable, en voyage à Montevideo, au moment exactement concomitant de l’arrivée au pouvoir des militaires. Sans dénonciation frontale, il nous parle de l’instinct maladif du besoin de propriété, de la folie déshumanisante face à une insécurité qui présage l’avènement d’une politique de l’effroi, de la censure qui coud les bouches des artistes, penseurs et journalistes ; de paysages postapocalyptiques comme une anticipation de ce qui nous savons aujourd’hui de l’état de la terre, de la destruction des valeurs humaines remplacées par des conditionnements sociaux ; et de la force de survie portée par le poète lui même.

L’apparente absurdité du récit n’entache pas la vérité de ce qui est dit. Mieux vaut le prendre au sérieux car c’est à cette condition que la force et l’humour des situations révéleront la poétique du texte.

 

Tout est vrai, terrifiant et fou.

 

La présence de l’homme du récit est une provocation en soi car il navigue, flotte et survit au milieu d’un désastre social, politique, culturel et écologique. Il est témoin de l’abrutissement ambiant, de la résignation d’un peuple, mais aussi de son oppression, son massacre, son génocide. Il traverse tout cela. Il est un poème planté dans la nature.

C’est Copi. C’est le poète, le fou, l’artiste ; le témoin impuissant de son époque qui inscrit sa voix par ce conte absurde, dans un monde qui l’est plus encore. Sa parole sculpte un désastre mental collectif qui quelquefois nous asservit. Dans le réel, il serait le maudit, celui qu’il faut enfermer, faire taire. Dans le conte, il est le survivant, le roi, le Robinson Crusoé d’un monde dévasté.Mais le risque d’un certain effondrement n’est-il pas perceptible aujourd’hui ? Nos vies qui continuent coûte que coûte à battre dans un avenir serré entre catastrophes écologiques, sociales et politiques ne font-elles pas de nous des fous en action, propulsés par une frénésie irréversible ? Nous sommes fous et nous le savons.Copi le perçoit et il le dit. L’homme de ce texte pourrait être désincarné, une voix, une présence tenace, une voyance qui sonde son époque sans vaciller, droit comme un I, un passeur, une ombre, le témoin critique qui sera toujours là. La voix de celui qui voit.

 

 

https://www.compagniepirenopolis.com/L-Uruguayen.html

 

Porteur du projet et jeu :Stephan Pastor
Metteur en scène :Christophe Chave
Créateur lumière :Christophe Bruyas
Créateur sonore :Julien Hô Kim
Constructeur éléments scénographiques :Philippe Laliard
Directrice de production :Sophie Teyssonnier
Chargée de diffusion :Fabienne Sabatier
En alternance pour la régie générale : Christophe Bruyas et Paolo Cafiero

Théâtre Antoine Vitez
Le mardi 7 février 2023 à 20h
8/16 €
http://theatre-vitez.com/
Bâtiment le Cube - 29 avenue Robert Schumann
13100 Aix-en-Provence
04 42 59 94 37

Article paru le mercredi 1 mars 2023 dans Ventilo n° 477

L’Uruguayen par la Cie Pirenopolis

Bonne Copi

 

La compagnie Pirenopolis orchestre une belle rencontre entre un texte de Copi, un acteur talentueux et un public conquis par L’Uruguayen mis en scène par Christophe Chave, au Théâtre Antoine Vitez.

    « J’en suis au point où je ne touche plus à la vie, mais avec en moi tous les appétits et la titillation insistante de l’être. Je n’ai plus qu’une occupation, me refaire. » ((Antonin Artaud, Le Théâtre et son double, 1938))   Dans un Montévidéo à la merci des caprices et des folies d’une dictature militaire, un exilé se lance dans un monologue adressé à un « Maître ! », sans doute à lui-même, à son propre esprit, qui n’est plus en vie, qui n’est qu’un double raisonnable, confortablement installé dans ses subterfuges, une ruse de dieu, un trou au centre de slogans absurdes. Nous, en quelque sorte… « Connard, vieux con, je ne serai plus jamais avec toi ! », dit-il en préambule, pour prendre définitivement le pouvoir, pour rétablir les faits en usant de la rigueur mathématique de la confusion et du délire. Le fer brûlant de l’imagination et une agilité de pensée peu commune font que les mots prennent possession de l’espace, les images s’enchaînent, se percutent, vont jusqu’au bout, corrosives et implacables. Sous ce regard visionnaire, les logiques et leur fascisme inhérent se suicident dans le mouvement absurde qu’elles ont engendré. Cette voix est la force de survie que porte le poète au milieu du désastre politique et social, avec un humour dévastateur où le rire survient toujours en contrepoint du pire, un peu comme rire en ayant la chair de poule. Copi vient d’une époque où la contre-culture taillait joyeusement en pièces le politiquement correct dont le présent nous abreuve. Cet Uruguayen dans un maillot à poche dont il extrait des arachides qu’il mastique, comme un philosophe grec en slip sous amphétamines, c’est l’acteur Stephan Pastor, proprement hallucinant et d’abord au centre de la scène comme de la chair dans un tableau de Francis Bacon. Il donne l’impression d’habiter littéralement sur le plateau, qu’il nous fait oublier, le transformant en une page plastique qu’il va peupler, dans laquelle il va se déplacer, se mettre à nu. Sa voix, précise et parfaitement rythmée, sculpte une réalité panique, burlesque, radicale, nous entraîne vers un ailleurs surréaliste qui pourrait être notre ici. C’est un théâtre qui n’est pas psychologique mais plastique et physique, tel que le souhaitait Antonin Artaud dans Le Théâtre et son double, un théâtre délivré du réseau de signification propre à la littérature. Il y a du Louis de Funès chez Pastor. « Il animale la parole et fait parler les planches. Il sait que ce n’est pas sur des planches qu’il entre, mais par les voies intérieures qu’il va, et que c’est sur notre tête et dans sa tête qu’il marche. » ((Valère Novarina, Pour Louis de Funès, 1986)) C’est vraiment un art de l’acteur qui nous est donné à voir, une alchimie de la présence, de l’énergie, une connaissance de l’invisible, de l’humain, qui se déplie dans une mise en scène et une scénographie simple, subtile et pleine d’humour dans sa mission de tout faire converger vers l’interprète comme si le plateau respirait avec lui.  

Olivier Puech

 

L’Uruguayen par la Cie Pirenopolis était présenté le 7/02 au Théâtre Antoine Vitez (Aix-en-Provence)