Agonie...

Agonie…

L’enfer

Plus d’une vingtaine d’années après le suicide de leur père, un jeune homme vient éclaircir ce mystère pesant qui a brisé trois sœurs (Anne, Céline et Sophie) et leur mère… Une nouvelle fois, un film (« philosophique ») qui donne la sensation qu’il y a différentes classes de drames — celles auxquelles les producteurs portent un certain intérêt et celles auxquelles ils n’en portent pas — et que le cinéma hexagonal donne surtout sa préférence, sans remise en cause, au drame bourgeois du début du 21e siècle. Drame dont l’une des règles principales est la tentative de redéfinition d’un « moi » occidental totalement perdu dans un matérialisme dévastateur dont il n’est, à l’évidence, pas prêt à se détacher. Prenons, par exemple, les protagonistes (terme qui, étymologiquement, renvoie à l’idée de lutte par la parole et par l’action) de L’Enfer, et demandons-nous vers quoi porte leur conscience ? A gérer, non plus la tragédie de l’existence (le fatum), mais son manque (considérer l’homme comme unique responsable de ce qu’il décide), aussi paradoxal que cela puisse paraître. La bourgeoisie se retrouve donc exclusivement dans le drame non désiré, démuni de Dieu, tout en cherchant, sans renoncer, un flamboyant sort tragique aux épreuves qu’elle traverse. Le commun a rattrapé l’étincelant. L’opulence ne magnifie plus rien, le mobilier ne masque plus le vide… L’Enfer lance ces pistes-là, les effleure à peine, comme par peur de vexer un public auquel il pourrait s’adresser. Du coup, Danis Tanovic (dont le No Man’s land, dans une histoire radicalement différente, souffrait déjà des mêmes problèmes) n’évite aucun cliché et se positionne plus sur l’aspect relationnel (et postiche à l’arrivée) de ses personnages (Sophie se sépare de son mari qui la trompe, Anne ne supporte pas sa rupture avec un professeur d’université marié et Céline est une éternelle célibataire moralement attachée à la mère) que sur la portée métaphysique de leur conduite. La superficialité guide cette histoire à l’esthétisme poussé (pourquoi autant focaliser sur ces jeux esthétiques quand on n’assume pas son intention intellectuelle jusqu’au bout ?) qui s’enfonce peu à peu dans un kitsch invraisemblable (Guillaume Canet en intellectuel, pour ne citer que cela). Autant de lieux communs, également sur la thématique du drame existentiel, qu’un Factotum — pure merveille de Bent Hammer à l’affiche actuellement — nous évitait. Décidé du contraire, L’Enfer, lui, ne nous les épargne pas. Mais, au-delà de l’étroitesse globale du film, le plus inquiétant est cette incapacité tangible d’une frange du cinéma français à traiter avec justesse de sujets un minimum complexes.

Lionel Vicari