Ai Weiwei – Fan-Tan au Mucem
Portrait à l’entre-deux Chine
L’exposition Fan-Tan au Mucem laisse entrevoir l’intimité de l’artiste chinois Ai Weiwei, entre rage d’agir contre les injustices et défense des traditions perdues d’un pays en constant changement. Un parcours entre culture occidentale et culture chinoise.
Ai Weiwei, artiste activiste et subversif suivant les traces du ready-made de Marcel Duchamp, s’illustre ici dans une exposition inédite qui pose les bases de sa recherche artistique, de son histoire. À Marseille, ville bien connue de l’artiste, on redécouvre le passage de son père, Ai Quin, grand poète débarqué sur les quais de la Joliette en 1929 : « Aujourd’hui ma dérive m’a jeté sur la grève de ce cap étranger. » L’histoire de ce père, qui a dû par la suite se plier au régime de Mao, brûlant ses livres devant ses enfants et perdant toute liberté, nous guide dans la découverte des subtilités du langage décapant d’Ai Weiwei. Judith Benhamou-Huet, la commissaire de l’exposition, ne manque pas d’enthousiasme : « C’est la toute première exposition qui nous permet de découvrir l’intimité de l’artiste, de comprendre un des ressorts de la rage d’Ai Weiwei. »
Car il trouve toujours une nouvelle écriture pour mettre en miettes l’injustice qu’il rencontre, quitte à s’attirer des problèmes. Il lui est d’ailleurs impossible de retourner en Chine, sous peine d’être immédiatement emprisonné. Considéré comme un traître depuis plusieurs années, Ai Weiwei a déjà fait de la prison durant 81 jours en 2011. Il s’est tout naturellement inspiré de ce fait marquant pour critiquer l’étouffement de la liberté dans l’Empire du Milieu. Des sculptures magnifiques en jade ou en marbre, matériaux précieux et luxueux, trônent tout au long de l’exposition, représentant des menottes ou des caméras de surveillance, installées il y a longtemps en Chine. C’est qu’Ai Weiwei ne se cache pas pour désacraliser les emblèmes de son pays natal. Sur les murs de l’exposition, du papier peint attire l’œil par ses formes répétées, comme un kaléidoscope. Il affiche une combinaison savante mêlant logo de Twitter, alpaga, caméra, chaînes et menottes, nommée L’animal qui ressemble à un lama mais qui est vraiment un alpaga. Il est évident que ce n’est pas une curiosité obsessionnelle qui l’appelle à multiplier un alpaga sur ce mur, mais un trucage malicieux pour insulter le gouvernement de Xi Jinping. Le mot « alpaga », en chinois, équivaut à notre coloré « nique ta mère », une fronderie sans équivoque à destination des autorités de propagande qui musèlent les réseaux sociaux dont l’artiste est friand.
Grand collectionneur, Ai Weiwei intègre également les traditions de son pays dans son œuvre, bien souvent à des fins politiques. Dans la pièce Maison colorée, une structure de bois gigantesque pesant huit tonnes représente une maison traditionnelle de la province de Zhejiang datant de l’époque de la dynastie Ming. L’artiste a décidé de transformer cette relique du temps passé en la recouvrant d’une peinture industrielle aux couleurs criardes. Il dénonce ainsi une Chine traditionnelle en voie d’extinction dans une société où l’industrialisation est devenue le maître mot. Dans la même ligne, Laisser tomber une urne de la dynastie Han, un tirage de trois photos sur des briques Lego® montre l’artiste lâcher volontairement et avec dédain une antiquité rare sur le sol.
Ai Weiwei s’est aussi imprégné de Marseille pour créer des pièces uniques à sa manière : travestir un emblème et le rendre témoin d’un manquement politique. Ainsi, deux savons de Marseille d’une tonne et couleur de jade se tiennent à l’entrée de la salle. « Sur ces deux savons, patrimoine de la ville, l’artiste a gravé, d’un côté, la déclaration des droits de l’homme, explique Judith Benhamou-Huet, et de l’autre, la déclaration des droits de la femme. » Ce texte, rédigé par Olympe de Gouges en 1791, demandait la pleine reconnaissance légale, politique et sociale des femmes. Le projet fut refusé par la Convention et son auteure guillotinée deux ans plus tard. L’artiste signe ainsi une œuvre de contestation face, cette fois-ci, à la société française. Ces deux nations, la Chine et la France, se trouvent de fait entremêlées dans leur passé, leurs différences, mais aussi leurs ressemblances au fil des œuvres. À vrai dire, tout est dans le titre, Fan-Tan, qui fait référence à un char d’assaut anglais opérant sur le sol français au cours de la Première Guerre mondiale. Sur ce char, offert par un homme d’affaires chinois, un œil trônait de chaque côté, le même qui figurait sur les navires chinois. L’artiste ravive ainsi les tensions d’une relation chaotique entre la France et la Chine à la fin du XIXe et au début du XXe siècle, et pousse un grand cri contre les sociétés actuelles.
Maud Van de Wiele
Ai Weiwei – Fan-Tan : jusqu’au 12/11 au Mucem (7 Promenade Robert Laffont, 2e).
Rens. : 04 84 35 13 13 / www.mucem.org