Alan Wake Vs Deadly Premonition
Alan Wake (Remedy/Microsoft – Xbox 360)
vs
Deadly Premonition (Access Games/Rising Star Games – Xbox 360)
Elu jeu de l’année par Time Magazine, Alan Wake a bénéficié du soutien de Microsoft au cours de ses cinq années de gestation, nourrissant de hautes ambitions. Faute de moyens, le modeste Access Games a, pour sa part, tout misé sur le travail d’écriture et la personnalité de son titre. Pour autant, tous deux évoluent dans un même registre, mêlant survival horror et thriller psychologique.
Leurs héros sont habités jusqu’aux limites de l’aliénation. Alan Wake, écrivain ne parvenant plus à distinguer la réalité des tours que lui joue son imagination, plongera dans les tréfonds de son âme. Francis York Morgan est quant à lui un agent du FBI habité par Zach, double schizophrène avec lequel il s’entretient en permanence. Quand Alan combat les ténèbres qui l’entourent et ont englouti son épouse, York enquête sur une série de meurtres qui l’ont entraîné dans un bourg perdu.
Si les jeux partagent des similitudes, leur conception s’avère radicalement opposée. Le premier se montre très linéaire : son cheminement est prédéfini et le joueur suit un couloir, d’un chapitre à l’autre jusqu’au dénouement de l’aventure. Ses environnements restreints favorisent une narration solide : ainsi guidé, le joueur vit des événements qui se lient avec fluidité ; les scripts se déclenchent au moment opportun et la lassitude ne s’installe pas. Il s’agit d’une production à gros budget, d’une efficacité éprouvée et aux références assumées : King, Hitchcock ou Carpenter sont évoqués de manière frontale. La noirceur qui l’habite est sa force principale, renforcée par une exécution de premier ordre : ses jeux de lumière, son travail sur les textures, son ambiance sonore et sa maniabilité sans faille impressionnent.
Les créateurs de Deadly premonition ont, eux, invoqué l’esprit de Twin Peaks, qui transpire par tous ses pores : un héros habité, une bourgade isolée à la normalité angoissante, ainsi que le meurtre d’une jeune femme, Anna Graham se substituant à Laura Palmer. Au contraire du produit du studio Remedy, il ouvre ses portes, à la manière d’un GTA : la zone à explorer est très étendue et tous les lieux sont accessibles, à pied comme en véhicule. Il est possible de se balader et de faire connaissance avec les autochtones, sans négliger de se nourrir et de se reposer, au gré du défilement des journées. Cette liberté est bienvenue, voire salutaire, le titre étant handicapé par son indigence technique. Celle-ci, renvoyant malheureusement plus à Pamela Rose qu’à David Lynch, dessert grandement le travail des auteurs, qui ont tout misé sur la force scénaristique de leur œuvre. Il faut alors fermer les yeux sur ses graphismes sommaires, sa bande son atypique mais redondante et sa maniabilité bien trop rigide, pour enfin apprécier les renvois au septième art dans les dialogues et le toupet d’une intrigue qui se permet toutes les excentricités.
C’est donc au prix d’un investissement conséquent que l’un dévoile ses richesses, quand l’autre délivre une expérience immédiate et intense.
Sébastien Valencia