Alexandra – (Russie – 1h32) d’Alexandre Sokourov avec Galina Vishnevskaya, Vasily Shetvtsov…
Les films de Sokourov se constituent autour d’une règle immuable à laquelle il est difficile d’échapper : celle de la cellule, de son fonctionnement primaire et fascinant, de son étonnante insoumission…
Grand-mère et fils
Les films de Sokourov se constituent autour d’une règle immuable à laquelle il est difficile d’échapper : celle de la cellule, de son fonctionnement primaire et fascinant, de son étonnante insoumission aux lois de la temporalité cinématographique. Chez l’auteur de L’Arche russe, il ne semble pas exister de récit, de corps, ni même de film en dehors de cette structure originelle. D’où l’abstraction solaire de chaque plan, mais surtout une capacité sidérante à s’extirper du réel en étirant infiniment les dimensions de la projection. Ce système, éprouvé depuis Mère et fils, est évidemment à l’œuvre dans Alexandra, étrange réflexion sur la guerre où une grand-mère rejoint son officier de petit-fils dans un camp retranché en Tchétchénie. En choisissant de suivre pas à pas les courbes sinueuses de cette vieille femme qui soliloque (comme beaucoup de ses personnages), Sokourov opte délibérément pour une mise en scène de la transgression dans un contexte (la guerre) où il s’agit pourtant de tenir son camp. Conçue comme un champ d’expérimentation, la cellule (familiale) ne semble plus suffire et le salut du film passe par une mise en danger de ses propres structures. L’intelligence du cinéaste est alors de ne pas traiter frontalement la question tchétchène mais bien de questionner les mécanismes de l’oppression, de ce qui ressemble finalement à une affaire d’ingestion et de lignes qui quadrillent l’horizon. Comme cette frontière que fixe inlassablement le jeune garçon tchétchène. Comme celle qu’Alexandra franchit, en vain, jusqu’au magnifique plan final.
Romain Carlioz