Alexandre Vigot et Vanessa Kuzay – Territoires oubliés chez Rétine Argentique
Souviens-toi les temps derniers
Des photos d’identités criantes de vérité. L’exposition Territoires Oubliés accueillie par Rétine Argentique met en regard le travail de deux photographes enracinés — Vanessa Kuzay et Alexandre Vigot — pour qui introspection rime avec création. Leurs œuvres nous font voyager aux frontières d’une certaine nostalgie pour mieux faire jaillir la vie.
En analysant le travail de Vanessa Kuzay et d’Alexandre Vigot d’un œil bien rond, les symboles sont légion. Sur deux pans de mur qui se font écho, leurs photos décomposent un enfouissement mental et géographique. Les souvenirs, que notre caboche a tendance à oublier, se lisent pourtant en nous comme dans des livres ouverts. C’est Alexandre Vigot qui ouvre le bal avec une série exagérément brumeuse, prise en Auvergne. L’artiste semble revenir sur ce que l’on ne retient pas de notre enfance mais que l’on fantasme en grandissant. Finalement, c’est une réinterprétation de la vie qui est ici donnée, faisant intervenir les racines (l’environnement) et la généalogie (rapport du grand père à son petit-fils). Des réminiscences autour de la filiation et d’une nature vaporeuse, presque ouatée. Des interrogations que l’on devine en cherchant à mieux décrypter ces clichés. Un travail de l’émotion qui, loin d’être chichiteux, nous offre une matière primaire à décortiquer.
En face, Vanessa Kuzay nous balance en pleine poire les images figées de son utopie pavillonnaire. En fil conducteur ? Une adolescente en sweat à capuche et jean « étouffe-fessier » au cœur d’un complexe sportif désertique, abritée sous un arrêt de bus ou s’aventurant sur une petite route arborée… Le territoire choisi est Orange, une ville du Sud ni trop grande ni trop petite. Un « non-lieu », un entre-deux qui, loin d’être exceptionnel, se prête aisément aux allégories existentielles. Le jeune modèle n’est autre que la nièce de Vanessa Kuzay, toujours shootée avec distance et comme incitée à la nonchalance. Ces lieux de vie, de marché, de sport ou simplement de passage sont ici rendus beaux et particuliers par l’inertie momentanée qui s’en dégage. Tout, ici, se suspend et devient donc intriguant. Déambulation d’une pensée en construction et d’un corps en mutation. Un décor joliment gris. Cinquante nuances d’ennui ? Non, l’adolescence qui ressurgit.
S’intéressant beaucoup aux lotissements (en voulant d’ailleurs les sublimer), Vanessa Kuzay nous rappelle que ces parcelles de terrain dupliquées se révèlent fascinantes à souhait. Une sensation retrouvée (la couleur en bonus) dans le conte cinématographique (réussi) de Tim Burton Edward aux mains d’argent, qui déjà, nous faisait craindre/adorer cet univers faussement apaisé.
Dans un round créatif qui oppose le flou à la netteté, les deux artistes à l’honneur ont choisi de miser sur l’intemporel et de jouer tantôt avec le diffus tantôt avec le précis. Entre partage et non-dit, la puissance du souvenir tient au fait qu’il se découpe à l’infini. Et que chacun de ses satellites nous enveloppe et nous construit. Mettre en scène des flashbacks n’était pas chose aisée : Vanessa Kuzay et Alexandre Vigot l’ont fait grâce à leurs Territoires Oubliés. Des trajectoires faites pour être empruntées.
Pauline Puaux
Alexandre Vigot et Vanessa Kuzay – Territoires oubliés : jusqu’au 5/05 chez Rétine Argentique (85 rue d’Italie, 6e).
Rens. : 04 91 42 98 15 / www.retineargentique.com
Pour en (sa)voir plus : www.vanessakuzay.com / www.alexvigot.com