Le grand bleu

Alfons Alt expose quelques feuilles volantes dans l’écrin apaisant de la maison des Editions Parenthèses. Aux portes de la photographie expérimentale, rencontre avec le cyanotype.

La sobriété de l’accrochage, deux clous très fins, révèle les contorsions du papier au contact de l’eau. Les fibres se tordent, se courbent, épousent ou non la forme de l’objet photographié, affirmant que le support est aussi important que la technique.
Alfons Alt présente ici les résultats obtenus avec le ferricyanure de potassium et le citrate ferrique, mots mystiques et barbares d’un procédé de développement ancien. Les bleus qui en résultent paraissent vaporeux, évanescents, comme s’ils pouvaient disparaitre dans la feuille de coton, effaçant avec eux les instantanés scintillants qui se détachent des formes aléatoires laissées par les substances. Le photographe expérimente, essaye, sans jamais vouloir maîtriser complètement : d’une planche à l’autre, d’un bleu au suivant, le mystère et le hasard semblent l’emporter, rendant chaque pièce unique.
Tout ce bleu, qui n’est pas sans rappeler le Danube, au bord duquel est né l’artiste, est empreint d’une certaine mélancolie : l’aridité métallique des sites portuaires, les formes subtiles des végétaux ou les vues de la Bonne Mère sont plongés dans une brume de souvenirs. Impossible ici de dater les clichés, tant le réel actuel semble lointain, estompé par les expériences poétiques de l’alchimiste.

Bérengère Chauffeté