Algéria par le Théâtre de Ajmer au Théâtre Les Argonautes
Orgasm Addict
Franck Dimech et le Théâtre de Ajmer mettent en images Kathy Acker, figure culte et incontestable phénomène littéraire de la Blank Generation, dans une performance répétée dans l’urgence, riche et audacieuse.
Elle est debout dans du rose vif troué d’une porte ouverte sur l’obscurité crasse parce que la terre d’Algérie est rose et que l’Amérique se décompose bruyamment là derrière, au milieu des frites, du ketchup et des dollars. Elle parle de sexe, de torture, de mort. Elle n’a pas besoin, elle veut, virulente comme une arme. Forte et fragile, elle est un morceau de viande sensible qui ne renonce jamais à asseoir la beauté sur ses genoux pour l’injurier. Sa tête est légèrement inclinée sur le côté, parfois un sourire, à peine entrevu entre les phrases, un langage sexué, violent mélange des genres s’avançant capricieusement au-delà de la littérature. La voix est calme, douce, véhicule d’une émotion anesthésiée, d’une conscience inconsciente, d’une langue fragile et raffinée qui dit la marge, le tremblement d’une logique terrorisée, l’urgence à déconstruire l’enchantement néolibéral du monde. Une suite d’anecdotes, de visions d’une société où les relations sadomasochistes sont la norme et les solutions toutes désespérées. Nous ne pouvons faire taire la voix de notre indigence, l’amour n’est pas possible dans cette société, c’est là un fait politique. Il y en a une autre qui parle, elle semble conclure ou ponctuer, un peu moqueuse, comme en relief sur l’ensemble du cadre, comme un riff de guitare emprunté aux Dead Boys : « I need Lunch ». De New York à l’Algérie, des sacrifiés aux colonisés, aux suicidés, la performance de Franck Dimech, Anne-Claude Goustiaux, Peggy Peneau et Christophe Chave met en jeu l’écriture terroriste de l’icône punk et pro-sexe Kathy Acker, polaroïd d’une époque où un Mick Jagger grotesque, symbole d’un désir si atrophié qu’il ne peut plus se rassasier, s’interroge tel Hamlet : « I can’t get no satisfaction, but I try… » L’aliénation, le terrorisme moral, le mensonge infantilisant s’exposent à travers un vaudeville porno trash hilarant où les phallus se montrent en breloques ridicules tandis que les cons conspirent à répandre un antidote, un sida mental pour détruire les métastases étouffant notre corps-âme. « La littérature est ce qui dénonce et taille en pièces la machine de répression au niveau du signifié. » (Kathy Acker) Visée éthique dont la croyance, le profond désir, est notre intime réveil, notre redressement.
Olivier Puech
Algéria par le Théâtre de Ajmer : du 11 au 14/05 au Théâtre Les Argonautes (33 boulevard Longchamp, 1er).
Rens. : 04 91 84 62 71 / https://sites.google.com/site/lesargos/
Pièce vue le 5/05 au Théâtre Joliette-Minoterie.