Amitiés, créativité collective au Mucem
Alliances techniques
Créations collectives, rencontres artistiques et collaborations spontanées… quand l’art se fait à plusieurs, est-il meilleur ? Le Mucem revient sur plusieurs décennies d’amitiés entre artistes dans une vaste exposition qui questionne le processus créatif. L’occasion de découvrir des œuvres méconnues et des duos improbables.
Cadavres exquis, happenings, dessins collectifs et performances artistiques, on trouve de tout dans l’exposition Amitiés, créativité collective.
Tout commence à la fin du XIXe siècle avec un projet subversif et visionnaire, l’Album Zutique.
En 1871, à l’Hôtel des Étrangers, au Quartier Latin, une vingtaine des plus grands poètes rebelles — dont Arthur Rimbaud, Paul Verlaine, Charles Cros et Germain Nouveau — élaborent un album mythique, rassemblant poèmes, textes, caricatures et dessins parodiques ou obscènes. En réaction aux bouleversements provoqués par la Commune, ils abandonnent le « moi » pour mettre leur art au service du « nous ».
Tout au long de l’exposition, c’est cette énergie collective qui est mise à l’honneur, que ce soit dans l’œuvre des Dadaïstes, des Surréalistes ou encore celle de la Beat Generation. Un air de liberté souffle sur toute cette génération d’artistes pour qui l’alliance et la confrontation de personnalités constituent la plus belle façon de créer. Des cadavres exquis des
Surréalistes aux installations de Nam June Paik et Joseph Beuys, en passant par le film
Entr’acte de René Clair et Francis Picabia, les œuvres résument à elles-seules tout le message que porte l’exposition : « À plusieurs, on fait mieux et plus fort ! »
Et ce n’est pas le commissaire de l’exposition Jean-Jacques Lebel qui dira le contraire. En
1960-1961, avec cinq autres peintres, il est à l’origine du Grand Tableau Antifasciste
Collectif, une toile de quatre mètres de long sur cinq mètres de large peinte à Milan. Réfugié en Italie pour éviter la guerre d’Algérie, l’artiste découvre avec horreur l’arrestation, la torture et le viol par les soldats français de Djamila Boupacha, une jeune Algérienne accusée sans preuve d’un attentat. Profondément révolté, il craint la fascisation de la France. Il participe alors à l’élaboration de cette immense œuvre, dont l’ombre plane, malgré son absence, sur l’exposition. Véritable manifeste antifasciste, le tableau est le point de départ de toute la réflexion des deux commissaires de l’exposition. En déconstruisant le duo binaire œuvre-créateur, les artistes présentés ici repensent à leur façon le processus créatif individuel et dénoncent les idées reçues. Le collectif n’empêche pas l’individu d’explorer à fond son imaginaire, c’est en fait tout le contraire. Le collectif suscite des embardées et des désirs imprévisibles auxquels l’individu seul n’a finalement que très difficilement accès.
Chloé Bergeret
Amitiés, créativité collective : jusqu’au 13/02/2023 au Mucem (Esplanade du J4, 2e).
Rens. : www.mucem.org