André play like an old gentleman please par le Collectif Kati Bur

Retour de Scène | André play like an old gentleman please par le Collectif Kati Bur présenté à la Distillerie

Brûler les planches

 

André play like an old gentleman please est une mise en scène de ce qui agit poétiquement autour et de l’intérieur d’un acteur, sur ce qui constitue sa mécanique personnelle, le cheminement de ses pensées, la liaison du su par l’insu.

 

 

Olivier Maltinti et son collectif nous plongent avec humour et autodérision dans la singularité d’André Wilms, qui est en quelque sorte une éthique du vagabodage, car de rencontres en fragments de choses qui lui traversent la tête, de leur cheminement de l’intime à l’extime, il va composer une subjectivité, créer une consistance de l’ordre d’une vérité.

En évoquant André, dont on sent la présence enveloppante, les acteurs et actrices nous livrent aussi de petits éclats de leur humanité, instantanés biographiques sur un plateau éclaté, peuplé de petites loupiotes rappelant certaines œuvres de Christian Boltanski. Les voix, les parcours se mélangent, on déambule, les chronologies se brouillent…

Si André, ouvrier d’extrême gauche, a pu penser qu’il faut brûler les théâtres et les opéras (en tant que temples de l’ordre bourgeois) avant d’en faire, c’est que dans les années 60 et 70 l’art et la culture sont encore de puissants vecteurs d’idéologie, de formidables machines d’émancipation et de questionnement.

D’antagonismes encore dynamiques car dialectisés peut naître l’événement, l’engagement, la révolution, l’utopie, la fidélité à des idées que l’on rencontre ou non, mais qui ne se communiquent pas, qui se transmettent. Et pour ce qui est de la transmission, André a eu de sacrés maîtres de théâtre, Grüber, Vincent, Nancy, entre autres, mais voilà, les maîtres disparaissent et des promoteurs les remplacent…

Quant aux antagonismes, ces mêmes promoteurs les font fusionner dans un « vivre ensemble » qui n’a plus rien à voir avec la vie. Cela donne à André l’intraitable l’envie de rassembler un groupe de vieux acteurs pour aller braquer Fauchon.

André est donc aussi un spectacle sur ce que nous perdons, puisqu’à présent, sous le règne des opinions, l’individu a de moins en moins de chance de rencontrer la vérité, l’opinion étant au-delà du vrai et du faux puisque son seul office est d’être communicable.

Allez donc faire du théâtre avec des opinions…

D’événements en rencontres, André, le prolétaire autodidacte et besogneux, se forme à l’art de l’acteur, se détache d’un simple processus pour entrer dans une composition qui l’excède : l’œuvre d’art.

André apprend à « parler à travers sa main », à « pleurer avec l’œil gauche et rire avec le droit » à « faire entendre la plume de Racine en train d’écrire Bérénice », et l’œuvre devient sienne.

Et pour ce qui est de la supposée vocation (critère bourgeois ?), André préfère citer le grand Robert Mitchum : « Un jour, j’ai vu les aventures du chien Rintintin à la télévision. Et je me suis dis : si lui peut le faire, je peux le faire. »

Appartenir à la situation est le destin naturel de quiconque, mais appartenir à la composition d’un sujet de vérité(1) relève d’un tracé propre, d’une rupture continuée, dont il est très difficile de savoir comment elle se surimpose, ou se combine, avec la simple persévérance de soi. L’exemple de l’acteur entrant dans une telle composition montre au citoyen qu’un tel engagement le regarde aussi dans son rapport au monde, dans son être social.

C’est cette interpénétration de la vie et de l’art, ce processus d’individuation(2) qui nous est magistralement montré dans André play like an old gentleman please, dont la conclusion est une chanson qui sonne comme le générique d’un film hollywoodien.

 

Olivier Puech

 

André play like an old gentleman please par le Collectif Kati Bur était présenté le 2/12 à la Distillerie (Aubagne) dans le cadre de Place aux Compagnies.

 

 

 

 

 

Notes
  1. « Il faut d’abord savoir ce qu’est le sujet des vérités elles-mêmes, c’est-à-dire le sujet qui est construit ou induit par le processus de vérité. Toute procédure de vérité construit un certain type de sujet, où même un certain type de corps. Il y a une matérialité de la vérité. » Alain Badiou[]
  2. « L’individuation est un processus par lequel une personne devient consciente de son individualité. » C G Jung[]