Claire Fontaine Foreigners Everywhere (Arabic/Hebrew) © Collection Lambert en Avignon, photo : Pascal Martinez / © Claire Fontaine

Après Babel, traduire au Mucem

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Umberto Eco disait : « La langue de l’Europe, c’est la traduction ». A la commissaire d’exposition Barbara Cassin de tenter, depuis le Mucem, une approche pluridisciplinaire sur ce qui constitue à la fois un fait d’histoire et un enjeu contemporain.

 

« Traduire », ou « translate » en anglais, déploie son étymologie sur le verbe « transporter ». En chinois, cependant, le geste de traduire s’apparente à celui de rebroder, tandis qu’en arabe, il réside avant tout dans le fait d’interpréter. Le fait n’est pas anodin : l’utilisation d’un mot, ou d’une langue, induit une culture et une conception du monde qui lui sont propres. A travers l’exposition Après Babel, traduire, la philologue et philosophe Barbara Cassin part avec son équipe de deux idées initiatrices : celle de la traduction comme d’un pilier de la civilisation méditerranéenne, et comme celle « d’un savoir-faire avec les différences ». En essayant de mettre en lumière des œuvres et des objets diversifiés, du plus trivial au plus exceptionnel, du plus antique au plus contemporain, du plus abstrait au plus concret, elle dessine un parcours archéologico-mythique avec une vision explicitement politique.
En témoigne la première partie de l’exposition, qui interroge le public sur ce qu’est Babel. Malédiction, en ce sens qu’elle devient l’illustration de la confusion du monde et de l’échec de l’établissement d’une langue unique ? Ou bien, au contraire, une opportunité permettant la diversité des langues et des alternatives ? Cette ambiguïté s’illustre parfaitement dans la distinction chromatique qu’effectue Abel Grimmer à travers sa peinture au début du XVIIe siècle : tantôt rose, tantôt grise, la Tour de Babel se voit affublée de symbolismes contraires, qui font écho à la Tour Tatline réalisée à l’occasion de la troisième Internationale. La photographie de Yang Yongliang illustre cette contradiction de manière plus contemporaine. Un petit retour dans la philosophie grecque nous fait réfléchir à la notion de logos, qui soutient une langue universelle et implique une certaine exclusion de l’autre, qualifié de « barbare », avec pour exemple une carte de « Barbarie », représentant l’ancien territoire d’Alger et ses provinces. Le schéma de Mark Liberman part quant à lui de la fameuse expression « C’est du chinois » pour définir son équivalent en trente langues différentes. En guise de transition, une affiche en espéranto d’époque de la Foire Internationale de Marseille introduit la deuxième partie de l’exposition, Des flux et des hommes.
Deux vidéos, non sans humour, retiennent notre attention. La première est un court métrage intitulé Marseille en V.O, qui s’intéresse au processus du code switching comme l’une des caractéristiques de la ville : à quel moment passe-t-on d’une langue à l’autre au cours d’une conversation ? En face, trois écrans mettent en scène grand-mère, fille et petite-fille sur la question de la langue maternelle. Entre transmission et rupture, elle illustre parfaitement l’idée du mouvement migratoire accéléré de ces dernières années. Il s’agit également de revenir sur ce qui fabrique l’émergence de la langue, et de nombreux textes sacrés sont exposés à nos yeux, comme une forme d’exégèse visuelle communiquant avec les œuvres d’Alain de Ribera, qui étudie les routes de la traduction à travers des œuvres diverses d’Aristote à Tintin, sous forme de plan de métro. Des subtilités de la traduction aux traducteurs, il n’y a qu’une plume, et ce sont les artistes qui font le lien avec la troisième partie de l’exposition, Traduisibles/intraduisibles.
Barbara Cassin, qui avait jusque-là ciblé le langage parlé et écrit, décide d’ouvrir sur le langage artistique, qui semble parfois symboliser au mieux le propos de la thématique et la difficulté qu’elle sous-tend. Une grande partie de cette dernière section s’attache à réfléchir sur la portée de l’expression, car il pleuvra littéralement des cordes, des hallebardes, des chats et des chiens, mais aussi des pierres lorsque vous passerez en dessous de cette installation affûtée créée de façon inédite par le musée. Plusieurs solutions sont ensuite proposées, avec le manifeste anthropophage d’Oswald de Andrade, qui parodie Shakespeare et exprime la nécessité « d’ingérer l’altérité », quand l’autoportrait de Johannes Grump nous renvoie à une citation de Borges plus qu’énigmatique : « C’est l’original qui est infidèle à la traduction. »
Une conclusion qui nous pousse à réfléchir, hors de soi, à l’importance de nous « déterritorialiser » comme le dirait Deleuze, en nous rendant compte, finalement, que nous ne parlons qu’une langue parmi tant d’autres.

Laura Legeay

 

Après Babel, traduire : jusqu’au 20/03/2017 au Mucem (7 promenade Robert Laffont, 2e).
Rens. : 04 84 35 13 13 / www.mucem.org