Après l’effondrement d’Alain Barlatier
L’Interview
Alain Barlatier
Après une poignée de films marqués par les luttes qui ont secoué la cité phocéenne ces dernières années, le réalisateur Alain Barlatier présentera, le 7 décembre au Daki Ling, l’avant-première de son dernier opus Après l’effondrement, qui revient sur le drame survenu à la rue d’Aubagne voilà un peu plus d’un an. L’occasion de revenir sur le geste cinématographique et l’engagement du cinéaste.
Comment s’est opéré le glissement de votre implication militante et syndicale, durant de longues années, à la création cinématographique ? Rapprochez-vous indéfectiblement les deux gestes ?
Je fus en effet militant de longue date, au sein du milieu associatif, ou syndical, entre autres comme secrétaire départemental, un temps, de la Fédération Syndicale Unitaire. Jusqu’à ma retraite assez récente. Mais également, parallèlement, un cinéphile passionné, ce qui m’a naturellement conduit à engager un travail en lien avec la création d’une part, et ma sensibilité sociale et politique d’autre part. Je mets quand même un bémol sur le rapprochement de ces deux démarches. Ce n’est pas la même chose. Je poursuis mon engagement, certes, mais je le déplace du terrain de l’action à celui du témoignage, et de la mise en valeur d’une démarche artistique dans les gestes du quotidien. Le film n’est pour moi ni un tract, ni un meeting, c’est une série de choix, à la croisée d’événements politiques et d’une conception de son traitement.
Est-ce que dans ce déplacement, l’influence de certaines approches cinématographiques similaires se sont révélées importantes ? On pense en l’occurrence à Chris Marker, Bruno Muel, Hervé le Roux, Jean-Pierre Thorn…
Totalement. Je suis marqué par l’expérience des groupes Medvedkine, la façon dont ce mouvement a mélangé les protagonistes — professionnels et acteurs sociaux ; j’essaie de concentrer dans ma démarche ces deux éléments. Mais je me tiens aussi à une forme de recul : par exemple, pour le film sur les événements de Noailles, Après l’effondrement, même si je prends évidemment fait et cause pour les luttes qui ont émergé, j’ai eu le souci de ne pas être militant, y compris du Collectif du 5 Novembre, j’avais besoin d’avoir une forme de recul pour mieux en parler. Le film reste cela dit un hommage à ce type de militantisme, totalement dévoué, altruiste et socialement innovant. C’est aussi la question de mener un combat pour l’indépendance du cinéma, en termes de création et de diffusion. Même si j’aime certaines personnes qui nourrissent cette lutte, comme Gilles Perret, je me considère plutôt comme un documentariste artisan, qui travaille avec des moyens artisanaux. Mais qui désire contribuer à la constitution de ce que l’on pourrait nommer une mémoire vivante.
Du coup, comment le réel — tragique — est-il parvenu à pénétrer la fabrication du film Après l’effondrement ? Les séances organisées lors de projections d’un travail en cours furent-elles décisives ?
Quand j’ai débarqué avec ma caméra, les contacts ont été rapides, avec les gens dont je ressentais l’importance dans la suite des événements. Ma connaissance des réalités sociales m’a évidemment aidé. À partir de là, j’ai remonté le fil, et établi ces relations de confiance. Je ne voulais surtout pas faire un film larmoyant, qui s’apitoie, seulement. On a assisté à Marseille à un double phénomène inverse : un effondrement des immeubles d’une part, et la mise à nu d’autre part d’un système politique qui s’effondre, en conséquence : je pense au clientélisme, à l’incurie, l’incapacité depuis des années de traiter la vie des gens simplement. Et la question du logement a été un focus là-dessus. Et d’un autre côté, il y a un phénomène de surrection. En géographie, on parle d’insurrection quand les continents se soulèvent, avec pour conséquences ces forces telluriques en action tout autour. Je trouve cette image belle, il y a ici des forces telluriques de soutien en œuvre, qui ont fait apparaître l’émergence d’un nouveau mouvement social, que l’on n’attendait pas. Je pense à des formes innovantes d’auto-organisation des gens, d’hébergement, d’alimentation, de transport, tout ce que l’institution n’était plus capable de faire. Par ailleurs, j’ai en effet recueilli la réaction des gens lors de quelques projections privées de travail. Cela m’a permis d’avancer sur la structure du film. C’est pour toutes ces raisons que je suis heureux de présenter l’avant-première de la version définitive de ce film, Après l’effondrement, au Daki Ling. C’est aussi un lieu symbolique — et je tiens à remercier son équipe — qui a été le réceptacle des agoras de Noailles. Il était important pour moi de proposer cette avant-première au cœur de Noailles avant tout autre endroit, et ce faisant, en présence de nombreux intervenants qui auront tant à dire sur le sujet.
Propos recueillis par Emmanuel Vigne
Après l’effondrement : projection-débat en avant-première le 7/12 au Daki Ling (45 A rue d’Aubagne, 1er).
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