Arina Essipowitsch et Maxime Chevallier – Equinoxe

Arina Essipowitsch et Maxime Chevallier – Equinoxe à La Compagnie

Soleil noir

Exposition en noir et blanc ou presque à la Compagnie, où Paul-Emmanuel Odin invite deux artistes récemment sortis de l’école. Histoires d’atomes crochus et de vies qui ne marquent plus de distance avec l’art…

 

Arina Essipowitsch et Maxime Chevallier sont liés. Liés l’un à l’autre et liés à la lune. Ils se sont rencontrés aux Beaux-Arts d’Aix-en-Provence et partagent depuis ce lien, que l’exposition Equinoxe vient nourrir encore d’avantage… Elle est photographe, lui explore des contrées du dessin et de la sculpture peu visitées jusqu’à présent. Au Mac Arteum de Châteauneuf-le-Rouge, le jeune homme parsemait le sol en tomettes de mandalas pyramidaux réalisés à base de sel. A la Compagnie, le rapport au sol est encore présent dès l’entrée de l’exposition avec, cette fois, la trace d’un mouvement rapide, inscrit dans de l’argile blanche, qui se révèle sur le béton ciré noir. Maxime Chevallier s’envisage pourtant comme sculpteur. Il tend entre les deux médiums une corde qui ramène une pratique vers l’autre. Le dessin se libère dans l’espace, s’adaptant aux contingences d’un lieu, tandis que la sculpture est conservée précieusement dans les intercalaires d’un classeur. Il appartient à cette génération d’artistes pour lesquels les clivages entre peinture, dessin et sculpture n’ont plus lieu d’être. Il opère avec délicatesse, tels ses dessins « encapsulés » qui semblent s’évaporer. Il travaille avec parcimonie et rareté, comme le dit Paul-Emmanuel Odin. Les choses commencent d’abord par se taire avant de s’esquisser. Ainsi, dans ces assiettes posées en tension contre le mur, le sable et l’encre noire semblent former des croissants de lune en train de s’éteindre. Le titre évoque plutôt le soleil, mais le soleil noir de l’éclipse, qui, dans le fond de la faïence, entonne les mots du poète :

« Dans le creux de sa main prend cette larme pâle,
Aux reflets irisés comme un fragment d’opale,
Et la met dans son cœur loin des yeux du soleil.
(1) »

Au-dessus sont suspendus sur une corde les négatifs confiés par Arina. On y devine des corps tirés de l’histoire de l’art, mais aussi de vraies personnes. Tout est fragile et éphémère chez Maxime Chevallier. Les choses sont contenues, détentrices de mystères, non révélées. Son monde n’est pas celui de la figure, mais celui des forces qui régissent les lois de la physique. Celles du geste, de la matière, et celles, mentales et morales, qui déterminent ce tout. L’artiste le dit lui-même : il est à la fois le contenant et le contenu. Il est aussi le sujet des photographies d’Arina…
Arina, quant à elle, photographie Maxime et les autres, de nombreux autres… Dans l’installation vidéo Jeu de cartes, il n’est pas question de Cézanne mais, tout comme les joueurs du tableau, Arina et Maxime sont assis à une table. Ils commentent des images familières, visages qui dévoilent les histoires des uns et les secrets des autres. A l’instar de Jess (la décision), où le papier photo grave l’épisode d’une vie. Le moment crucial d’une jeune femme face à une décision que le test de grossesse nous révèle. Le tirage est grand et le sujet grave, mais le tout s’impose au spectateur sans grandiloquence, focalisant sur ses mains et l’objet du questionnement. Arina s’immisce ainsi dans la vie de ceux qui lui sont proches et en fait sa matière, instants de vie placardés sur les cimaises de l’exposition, rébus d’une histoire issue de rencontres, de personnages saisis dans leur intimité, leur spontanéité, leur jeunesse. Tout ici est pour l’art, même l’absence d’un ami dont les idées se troublaient après l’obtention du diplôme et qui lui offre l’une des plus belles pièces de l’exposition, les mots d’un jeune homme qui bascule, à l’image du portrait qu’Arina faisait de lui…

Céline Ghisleri

Arina Essipowitsch et Maxime Chevallier – Equinoxe : jusqu’au 25/04 à La Compagnie (19, rue Francis-de-Pressensé, 1er).
Rens. : 04 91 90 04 26 / www.la-compagnie.org

Notes
  1. Charles Baudelaire – Tristesses de la lune, in Les Fleurs du mal[]