L’entretien | Armelle Bour

La sémillante directrice du Cri du Port a bien voulu répondre à quelques questions concernant l’identité d’un événement automnal désormais particulièrement attendu dans la région : Jazz sur la Ville.

 

 

Est-il possible de définir Jazz sur la Ville ? Est-ce un « festival » ? Une mise en réseau ?

Jazz sur la Ville est une manifestation et non un festival — on considère un festival lorsqu’il y a un organisme central programmateur. Sans rentrer dans le détail de nos statuts et de notre cahier de charges, voici les trois des grands principes qui animent cette manifestation : tout d’abord, le désir commun de valoriser sur tout le territoire de Marseille, du département des Bouches-du-Rhône et de la région Sud Provence-Alpes-Côte d’Azur, nos lieux et nos artistes par un coup de projecteur autour du jazz, ainsi que sensibiliser un large public et initier la circulation de ce dernier et des artistes entre nos lieux. Ensuite, le respect de l’emploi des artistes afin qu’ils puissent vivre et créer par leur art. Le soutien et la présentation de projets originaux favorisant la création, notamment d’artistes en devenir, jeunes ou moins jeunes (dont de nombreux artistes vivant en région). Enfin, réaliser une programmation équilibrée entre petites et grandes salles, pour laquelle chaque structure est responsable de sa programmation.

Cette manifestation, par son caractère fédérateur, met en lien un grand nombre de partenaires très différents qui œuvrent ensemble pour diffuser au plus grand nombre l’ensemble de l’histoire et des styles du jazz.

 

Quelles sont les raisons qui ont poussé à élaborer Jazz sur la ville ?

À l’origine, en 2006, un petit groupe « d’activistes » marseillais décident de se rassembler pour créer un coup de projecteur sur le jazz à l’automne. On peut citer les structures : le Cabaret Aléatoire, la Cité de la Musique de Marseille, le Cri du Port, l’association Lou Liame, la Mesón et le Pelle-Mêle. Ils se connaissaient, certains avaient déjà collaboré ensemble, mais c’était la première fois qu’ils s’entendaient pour défendre des artistes plus généralement originaires de la région. Durant deux semaines, en octobre 2006, quinze concerts sont présentés pour la première édition. Jazz sur la Ville est lancé !

La programmation de Jazz sur la Ville est dès le départ élaborée par chaque structure participante, dans le désir de représenter des artistes aux expressions diverses vivant en région ou d’origine plus lointaines. C’est aussi l’occasion pour certains lieux d’ouvrir leurs portes et permettre aux musiciens de se produire dans des lieux qui n’étaient pas repérés « jazz » à l’origine.

Le fonctionnement était alors basé sur le bénévolat et la mutualisation de nos savoir-faire et moyens, une participation financière de chacun nous permettait de couvrir les coûts de la communication ou plutôt de la fabrication des documents brochures, affichettes…

En 2010, la cinquième édition de la manifestation s’étend sur deux semaines en octobre et sur une vingtaine de lieux, avec des concerts, mais aussi des rencontres, expositions de photos, des jam sessions et ciné-concerts.

Après 2013, année durant laquelle Marseille est Capitale européenne de la Culture, Jazz sur la Ville fait une pause pour mieux se structurer et se déclare en association. C’était une étape incontournable, les participants étant plus nombreux, les événements aussi. Le travail de coordination qui était porté par les membres fondateurs devient alors de plus important ; il faut trouver des moyens humains et financiers pour donner un peu plus d’ampleur à la manifestation, qui s’ouvre en 2015 aux structures du département des Bouches-du-Rhône et de la Région Sud. Le fonctionnement financier repose sur une participation collective et proportionnelle aux événements inscrits par les adhérents.

Les premières aides institutionnelles sont accordées par la Ville de Marseille puis le Département 13. Un noyau d’adhérents reste fidèle depuis le début et à chaque édition selon ses moyens et son actualité, d’autres participants rejoignent ou pas la manifestation. Chaque année, la liste des adhérents change légèrement, certains participent selon ses possibilités ou projets, d’autres nous quittent pour parfois revenir plus tard.

En 2018, Jazz sur la Ville participe à MP2018 Quel Amour ! en dehors de son temps fort automnal. L’année 2019 fut un peu ébréchée par les mouvements sociaux. En 2020, nous avions tous cru jusqu’au bout pouvoir maintenir l’édition, qui fut presque réduite à néant : seuls quelques concerts ont pu être maintenus en retransmission vidéo ou sur les ondes radiophoniques.

En 2021, la crainte de ne pouvoir mener à bien l’édition planait toujours, mais nous avons réussi à rassembler les acteurs de Jazz sur la Ville. Tardivement, certes, mais nous tenions à présenter la manifestation malgré les difficultés organisationnelles et financières de certains lieux et surtout la situation liée au covid-19 qui n’était pas pour faciliter le retour des publics dans nos salles. Après un élan perceptible du retour du public, le contexte général fut une fois encore invalidant pour nos activités. La question de l’accueil des publics dans nos salles, soumise à de nombreuses restrictions durant l’épidémie, en plus des incertitudes liées à la santé de chacun, a eu pour incidence de changer nos comportements en tant que spectateurs et organisateurs.

Pour cette édition 2022, la situation n’est toujours pas redevenue comme par le passé : une perte de fréquentation est constatée sur l’année. Il est important que nos salles puissent continuer de présenter des artistes et des courants esthétiques que nous défendons. À quelques jours du début de l’édition 2022, nous rencontrons comme de nombreux acteurs culturels les retombées d’un contexte social, politique, économique en crise. Nous porterons nos événements avec passion, pour que les publics et les artistes se rencontrent à nouveau dans des lieux qui ne peuvent exister sans ces moments qui font la vivacité du spectacle vivant.

Ces trois dernières années furent difficiles et le maintien des liens entre les acteurs de Jazz sur la Ville en a subi les conséquences. Moins de temps pour se retrouver, un travail au sein des structures plus prégnant, une fatigue réelle pour tenir nos salles en activité sur le long terme.

Au cours des années, la durée de l’événement et son territoire se sont élargis, nécessitant un travail de coordination plus important (porté dans les premières années par les membres fondateurs qui eux-mêmes aujourd’hui ont souvent développé leurs actions au sein de leur structure).

Une réflexion est abordée sur l’avenir de l’association et son déploiement qui passerait par la création d’un poste pour l’administration et la coordination. L’idée de faire un rendez-vous au printemps avait été évoquée, créer un nouveau format de rencontre ou de mutualisation de programmation sur le territoire. Les structures adhérentes sont très différentes de par leur taille, leur fonctionnement et programmation, la reprise d’un rythme de concertation et d’échange plus régulier (comme par le passé, avant le Covid) nous permettra peut-être de faire émerger de nouvelles actions à écrire pour Jazz sur la Ville. Tout cela sera discuté après la réalisation de l’édition 2022.

 

En tant que femme dans le monde du jazz, as-tu ton mot à dire sur l’aspect « genré » des propositions musicales dans le cadre du dispositif ?

Nous avons encore du chemin à faire, c’est un point sensible si l’on ne veut pas rentrer dans le dictat de faire respecter des quotas. Le constat est que le monde du jazz est majoritairement masculin : c’est une prise de conscience qui annonce, je l’espère, un changement amorcé qui sera durable. Heureusement, c’est observable dans les nouvelles générations, où les groupes mixtes ou leadés par des femmes sont plus fréquents.

Selon une enquête sur la représentation des femmes et des hommes dans le jazz et les musiques improvisées (menée par AJC, Grands Formats, la FNEIJMA, en coopération avec l’ADEJ et avec l’expertise d’Opale, données de 2018), 78 % des spectacles programmés étaient majoritairement masculins, 15 % mixtes et 7 % majoritairement féminins. Alors que dans les structures, 65 % des équipes administratives étaient féminines et seulement 17 % des postes techniques étaient tenus par des femmes. Quant aux postes de direction, les répartitions sont là aussi très différenciées : 3 % de femmes, 24 % de directions mixtes et 73 % d’hommes. C’est sans aborder la répartition femme/homme dans la pratique des instruments, qui témoigne là aussi de grandes disparités. Je pense que nous sommes très représentatifs du problème des stéréotypes de genre à tous les niveaux. Des explications sociales, comportementales, historiques et culturelles peuvent être avancées : il faut rester attentif pour que les curseurs bougent.

 

JSLV est-il impliqué dans des dispositifs d’action culturelle et/ou d’éducation populaire ?

JSLV n’étant pas un organisateur de spectacles ni porteur de projets, nous ne le sommes pas directement ; c’est plutôt à travers certains de nos adhérents que ces actions se déploient. Nous incitons les adhérents de JSV à programmer des actions durant la manifestation, cela sera le cas pour cette édition (temps de rencontre artiste avec des scolaires, concert animation pour les familles, master class…).

 

Aurais-tu une sélection personnelle de trois artistes que tu recommanderais pendant JSLV 2022 ?

C’est une réponse à laquelle je me refuse de répondre par partialité vis-à-vis de tous (artistes et lieux). Les artistes sont annoncés sans différenciation, mais j’aurais envie de conseiller au public de choisir : un artiste à découvrir, pour rester curieux et se laisser parfois surprendre ; un artiste vivant en région, car ils sont toujours bien représentés dans la manifestation et constituent une véritable richesse culturelle ; un artiste en tournée, c’est l’occasion de les voir en live, certains sont rarement en concert dans la région.

 

Propos recueillis par Laurent Dussutour

 

Jazz sur la Ville : du 3/11 au 4/12 à Marseille et en Région Sud PACA.

Rens. : https://jazzsurlaville.org

Le programme complet de Jazz sur la Ville ici