Les spectacles "arts du geste" de l'année 2009
Les spectacles "arts du geste" de l'année 2009
Rubrique
Sur les planches
, le mercredi 09 Déc 2009
- Alain Buffard – Les inconsolés (Février au Théâtre du Merlan dans le cadre de la manifestation Plurie(elles))
De l’obscurité surgissent des membres, révélant comme en négatif le mouvement invisible entre les corps immobiles. Derrière le rideau, un visage observe, angoissant… Dans une scène à trois qui nous emmène de la torture à son observation, les rôles se fondent, rappelant le difficile point d’équilibre de la relation ternaire. Entre Eros et Thanatos, ce triptyque chorégraphique sur l’orientation sexuelle et les désirs intimes a touché la critique comme le public, l’amoureux comme le solitaire.
- Olivier Dubois – Faune(s) (Février au Théâtre des Salins, Martigues)
Danseur et chorégraphe, Olivier Dubois utilise sa forte corpulence pour épouser la silhouette du Faune de Nijinski et mettre en pièce un chef-d’œuvre du répertoire, où l’ego devient la première des qualités. Le corps de ballet confiné dans l’arrière-plan, les rugissements et les humeurs de l’interprète frôlent la folie — démesure dans laquelle la fulgurance d’une présence, d’un souffle, d’une délicatesse nous frappe par sa justesse. Olivier Dubois marche sur un fil et reconstruit par son seul courage le répertoire de demain.
- Une soirée avec Simone Forti (Mai à Montévidéo – programmation : Marseille Objectif Danse)
Comme une douce mélopée, la performance de Simone Forti, monument de la danse américaine, nous enveloppe, créant paysages et vallons poétiques sans lyrisme exacerbé. D’abord très présente, la parole se raréfie pour mieux s’intensifier en se déposant dans la chair. Se développe alors une intimité sincère sous les yeux d’une audience qui retient son souffle autour de l’artiste, de façon presque religieuse, pour communier dans ces fragiles instants de sacré : une exploration de l’« état de danse », comme une poésie à partager.
- Théâtre du Centaure – Otto Witte (Février au Théâtre du Gymnase)
Transformer le Théâtre du Gymnase, ses dorures et ses lustres à pendeloques, en écurie provisoire, voilà le tour de force accompli par le Théâtre du Centaure, qui met en scène l’histoire vraie d’un avaleur de sabre allemand, rêveur fou et fabuleux, roi d’Albanie pendant cinq jours. Sur scène, l’acteur et son double animal — un âne de quelques centaines de kilos — servent avec brio le texte de Fabrice Melquiot. Passionnés, on suit le récit d’une vie d’aventures, à rebrousse-poil (c’est le cas de le dire) des mises en scène lissées et sages.
- Cie La Mère Boitel – L’immédiat (Octobre au Théâtre du Merlan)
Que se souhaiter de mieux pour 2010 que de vivre plus fort le présent ? Telle une mise en bouche, le spectacle L’immédiat de Camille Boitel nous a propulsés dans un univers en friche complètement instable, mais dans lequel règne cette sensation forte d’être dans un présent perpétuel. L’imprévu d’une chute, d’un évènement ou d’une rencontre précipite les quelques habitants de cette épopée poétique dans une ronde où se mêlent le langage de la danse à celui du cirque, celui du souffle à celui de l’Humain.
- Ayse Orhon – Hava’nin a’si / [a:] of air (Novembre aux Bernardines, dans le cadre de Dansem)
Cet incroyable titre (désignant un intraduisible souffle d’air) n’a d’égal que l’inspiration dont il émane. La jeune chorégraphe turque a présenté pendant Question de danse un joyau d’émotion à l’état pur. Pourtant très pragmatique puisque axé sur l’exploration des relations entre son corps, sa voix et l’air qu’elle respire, cette fabuleuse chorégraphie emporte nos imaginaires dans un no man’s land de sérénité. Exigence, rigueur et précision font de la réalité intangible de l’air qui nous entoure une œuvre d’une vibration rare, unique et organique.
- Caterina Sagna – Basso Ostinato (Novembre aux Bernardines, dans le cadre de Dansem)
Deux hommes évoquent leurs souvenirs en buvant tout ce qui passe, l’ordre du discours devient confus, les corps se désagrègent dans des trajectoires aléatoires. L’hallucination devient le moteur d’une décadence démesurée et l’apparition d’un tiers emmène l’idée du couple vers un jeu de rôles et de combinaisons infinies. Caterina Sagna porte la parole d’une danse qui déconstruit l’ordre du ballet pour l’emmener à la rencontre du dialogue et de la digression, là où la confusion donne à l’épuisement des corps une poésie nouvelle.
- Zimmermann et De Perrot – Öper Öpis (Novembre au Théâtre du Merlan)
Dans Öper Öpis, l’univers est bancal et tout est question d’équilibre. L’histoire commence par un jeu de construction qui s’écroule, entraînant dans sa chute un irrémédiable bouleversement. Les artistes nous offrent alors une succession de tableaux aux effets visuels ingénieux, mêlant danse et acrobaties, réalisées avec une apparente (et déconcertante) facilité et une énergie non contenue. Un « chamboule tout » géant très drôle, orchestré par les platines magistrales d’un DJ admirablement cinglé.
- Alain Michard – Couac et Parkinson (Novembre à la Friche – programmation : Marseille Objectif Danse)
Telles des vaches dans un pré, les spectateurs regardent des hommes passer. Très vite, tout s’emballe : des anomalies arrivent, autant de micro-évènements qui les emmènent — et nous avec — dans des espaces cachés, suggérés, entendus. De la prolifération des gags chorégraphiés naît une fraîcheur rare. Drôle et fantaisiste, ce quintette d’hommes se constitue progressivement en orchestre dépareillé et improbable pour un final d’artistes doux dingues, jouant les fragiles maladroits, dans un ensemble tout en finesse dans un monde de brutes…
- Wen Hui – Memory (Décembre au Pavillon Noir)
La vie de Wen Hui défile sous nos yeux, petite histoire au sein de la Grande, celle d’un immense peuple, celle de la révolution culturelle chinoise. Tout en cousant à la machine des feuilles de papier qui ne cessent de tomber, une interprète raconte son passé, par anecdotes, tandis qu’une femme répète le même mouvement, se cambrant inlassablement en arrière. Et soudain, tout nous apparaît : Tien An Men, les massacres, l’inexorable cruauté… Memory ou la poésie au service du politique : un engagement sans égal.