Au bois dormant au Badaboum Théâtre
Conte défait
En ces temps de jours raccourcis et de pleines lunes irradiant les nuits froides et noires, voilà qu’Anne-Claude Goustiaux s’empare d’une histoire qui sommeillait bien au fond de nos mémoires. Au bois dormant, ultime création sans dernier cri du Badaboum, revisite le conte en y trouvant ce qui fait théâtre.
On connaissait la metteuse en scène pour son goût pour la langue ardue, pour la farce burlesque et les pièces faites d’éclat (Ubu, Cyrano, La Farce de Maître Pathelin), mais c’est ici sur le silence d’un texte dont on connait mal les versions que nous allons nous attarder. Du conte de La Belle au Bois Dormant, nous ne nous rappelons bien souvent pas grand-chose, si ce n’est que l’héroïne est belle, qu’elle se pique on-ne-sait pas-pourquoi, et qu’après un bon roupillon de cent ans, elle sera réveillée par un beau prince tout charmant, tout à fait son égal, donc. Mais pour notre amatrice de poésie, nécessité se faisait dans ce nouveau projet de s’attarder sur ce qu’il y avait en creux de cette histoire assez imprécise, de « prendre le temps d’une recherche avec peu de matière. Après tout, que se passe-il quand on décide de ne rien raconter, et de laisser le théâtre opérer, avec ses noirs et ses effets ? »
Quand elle parle des premiers essais avec les acteurs (les fringants Geoffrey Coppini, Magali Fremin du Sartel et Jessy Coste), elle se souvient de « beaucoup de silences, qui se côtoyaient dans une même obscurité ». Mais que voit-on dans le noir ? Pourquoi nous angoisse-t-il ? Qu’y projetons-nous, depuis notre enfance et jusque dans l’âge adulte ?
Loin cependant de toute noirceur, et si le spectacle s’ancre dans une veine mélancolique et rêveuse, les moments de rire ne manquent pas : les parents s’avèrent si grotesques qu’ils en sont marionnettiques, la Belle se pique avec un stiletto de cabaret, les chorégraphies pourraient être celles du Lapin blanc d’Alice au Pays des merveilles. La scénographie, modeste mais astucieuse, de coulissants japonais en papier permet tout autant clowneries entre fées ratées, jeux d’ombres inquiétants qu’improbable course labyrinthique, grâce à l’habileté reconnue d’une équipe technique astucieuse (La Phalène, Elsa Casilli, Jérôme Guitard), qui parvient à démultiplier les espaces ô combien restreints du petit plateau du Bada.
Avant tout, l’histoire réinventée de la Belle au Bois dormant est prétexte à nous parler de l’adolescence d’une jeune fille qui grandit dans un univers surprotégé et qui se réfugiera dans le sommeil pour échapper à ses parents trop inquiets… Là encore, on retrouvera un Prince charmant dont on ne sait toujours pas s’il existe encore, mais — signe des temps émancipateurs — il n’est pas dit que son baiser suffise à résoudre le destin de la jeune fille… Quelle issue donc pour cette jeune fille, pressurisée, convoitée par une beauté qui devient fardeau ?
À l’expérience publique, cette création nous offre un merveilleux cadeau : une camera obscura de nos désirs et de nos peurs, une matière à rêver, dans un même chemin emprunté par petits et grands.
Joanna Selvidès
Au bois dormant : jusqu’au 24/12 au Badaboum Théâtre (16 quai de Rive Neuve, 7e).
Rens. : www.badaboum-theatre.com